Archives du Grand-Saint-Bernard

Introduction

 

 

Table des matières:

1 Histoire de la Congrégation des chanoines du Gd-St-Bernard

2 Aperçu de l'histoire des archives du Gd-St-Bernard (1961)

3 Les archives de la Congrégation aujourd'hui (2004)

4 Quelques documents remarquables

 

Aperçu historique de la Congrégation des chanoines du Gd-St-Bernard


Déjà la Table de Peutinger, copie d'une carte géographique romaine du quatrième siècle, mentionne le nom " In Summo Pennino " entre la ville de Martigny et celle d'Aoste. Il s'agit du col du Mont-Joux, l'actuel col du Grand-Saint-Bernard (2473 m.), antique lien entre le Nord et le Sud des Alpes.
Des fouilles archéologiques entreprises sur ce col ont mis à jour de nombreuses monnaies gauloises déposées au pied d'un rocher sur lequel était vénéré Pen, divinité véragre des sommets. C'est ce dieu qui a donné son nom à tout le cirque des alpes environnantes, les Alpes pennines. Après la conquête romaine du Valais, vers 15 avant Jésus-Christ, l'empereur Claude fait construire un temple (11m 30 sur 7m 40) au dieu du lieu qu'il assimile sous le nom de Jupiter Pennin. A cet emplacement, les archéologues ont découvert de nombreux ex-voto de bronze, divers objets courants ainsi qu'une collection d'environ 2'000 pièces de monnaies romaines attestant ainsi un culte à Jupiter durant les premiers siècles de notre ère. Sous l'empereur Théodose, les cultes païens sont interdits au profit de la religion chrétienne qui s'établit définitivement dans l'Empire romain. Ces derniers sont ainsi abandonnés, puis oubliés.
Un long silence couvre la période des invasions barbares à l'ère carolingienne, puis quelques documents épars nous apprennent l'existence d'un monastère du Mont-Joux, situé à Bourg-Saint-Pierre : Vulgarius y était abbé aux alentours de 820. Vers l'an 900, sont mentionnés les marronniers, guides de montagne qui vont chaque jour de l'hiver à la rencontre des passants. Ils accompliront leur travail jusqu'au début du vingtième siècle, lorsque l'invention du téléphone consignera leur métier dans les encyclopédies. Le dixième siècle voit sombrer ce monastère, ravagé tour à tour par les invasions de Hongrois (924) puis de Sarrasins (vers 940). Vers l'an mil, Hugues II, évêque de Genève, fait rebâtir l'église de Bourg-Saint-Pierre. La sacristie et le clocher actuels datent de cette reconstruction.

Nous ne savons que peu de choses concernant saint Bernard de Menthon qui restaure le monastère du Mont-Joux au milieu du onzième siècle lorsqu'il fonde son hospice dédié à saint Nicolas de Myre. Les archives de l'hospice conservent un fragment de manuscrit du onzième siècle contenant le début de la légende de saint Nicolas (AGSB 2565). Si ce document a appartenu à saint Bernard, c'est l'unique rescapé de dix siècles d'histoire. Quant à saint Bernard, il est enterré à Novare le 15 juin 1081 ou 1086. D'après son squelette, analysé en 1965, il est mort vers l'âge de 60 ans, ce qui situe sa naissance vers 1020. Des constructions auxquelles il a travaillé, nous pouvons encore voir, dans les caves de l'hospice actuel, le rez-de-chaussée de son hospice (18 m sur 13,50 m) et la grotte dans laquelle il se retirait (1,80 m sur 1,25 m).
Les anciennes possessions du monastère de Mont-Joux semblent avoir été transférées à l'œuvre de Bernard de Menthon dont la devise : " Hic Christus adoratur et pascitur " (ici le christ est adoré et nourri) exprime l'idéal évangélique. En effet, une communauté de chanoines réguliers chante l'office choral et sert son Seigneur dans ses frères qui franchissent le col du Mont-Joux. Ce service hivernal n'est pas exempt de dangers ; la mort sévit souvent. Le froid, la neige et les avalanches emportent des passants, et même les chanoines qui vont les secourir. Ainsi les voyageurs font de grandes dotations en reconnaissance du sauvetage de leurs vies. Comme cet hospice ne cesse de s'enrichir, la convoitise des puissants tente de s'en approprier les revenus.

Après des siècles d'expansion, la Congrégation va connaître une fin de Moyen-Âge troublée. Lors du Grand Schisme, la prévôté du Mont-Joux obtient une première fois le privilège de l'exemption de l'antipape Jean XXIII le 15 mars 1411 (AGSB 237), confirmée définitivement par Nicolas V le 17 avril 1453 (AGSB 254). Ainsi elle quitte la juridiction de l'évêque de Sion pour ne dépendre que du Saint-siège pour ce qui concerne son organisation interne. C'est un élément positif, manifestant une plus grande autonomie par rapport aux diocèses, mais c'est à double tranchant. En effet, le spectre de la commande menace l'église au 15ème siècle (des laïcs deviennent supérieurs de monastères pour tirer profit des revenus de ces derniers, laissant aux prieurs claustraux le soin desdits monastères), et le Saint-Bernard n'est pas exempt de ces soucis. En 1437, puis 1438, des nouvelles constitutions sont rédigées afin d'éviter la commende. Le résultat reste cependant peu concluant : Jean de Grolée est nommé premier prévôt commendataire par le pape Eugène IV, le 28 février 1437 (la commende durera jusqu'en 1586), tandis que les constitutions garantissant la liberté d'élection du prévôt par le chapitre conventuel sont promulguées le 15 mai 1438 (AGSB 694). Deux éléments politiques vont envenimer l'affaire :
1. Le dernier antipape de la chrétienté, Félix V (1439-1449), qui est aussi connu sous le nom d'Amédée VIII comte de Savoie, dépose la tiare en 1449 et reconnaît Nicolas V (1447-1455) comme Souverain Pontife légitime. En contrepartie, Sa Sainteté lui promet de le consulter pour repourvoir les grands bénéfices - évêchés et abbayes, dont le Saint-Bernard - qui deviendraient vacants sur l'étendue du territoire savoyard. Cette concession, aussi valide pour ses successeurs, est aussitôt interprétée comme un droit de nomination. (Le texte de ce privilège de Nicolas V est intégralement publié dans DUC J.-A., Histoire de l'Eglise d'Aoste. Tome 4, H. Leibzig Châtel-St-Denis 1909, p. 467-469).
2. Durant les guerres de Bourgogne, les Sept Dizains du Haut-Valais s'allient avec Berne, contre la duchesse Yolande de Savoie. Ils en profitent pour annexer définitivement le Bas-Valais lors de la bataille de la Planta du 13 novembre 1475. La maison de Savoie, ancien maître de ces terres, n'acceptera ce nouvel état de faits qu'en 1528, essayant cependant de conserver si ce n'est l'hospice du Grand-Saint-Bernard, du moins le contrôle de sa source d'eau potable, le problème de frontière ne sera résolu qu'en 1906 (AGSB 154 et AGSB Plan 13).

L'hospice devenu valaisan, certains chanoines commencent à contester la nomination de leur prévôt par les ducs de Savoie. Ainsi la congrégation finit par se diviser en deux clans : les constitutionnels, à majorité valaisanne et soutenus par l'évêque de Sion et le nonce de Lucerne, revendiquant la libre élection du prévôt par le chapitre claustral telle que le prévoient les constitutions de 1438, et les anticonstitutionnels, à majorité savoyarde soutenus par le prévôt et la cour de Savoie, qui légitiment la coutume. Avec cette dynamique, la Réforme passe presque inaperçue ; en 1536, Berne l'amène à Genève et sécularise les biens paroissiaux situés sur les actuels cantons de Vaud et de Genève (quelques ouvrages liturgiques à l'usage du diocèse de Genève ont été sauvés à cette occasion et amenés à l'hospice où ils y sont encore), respectant la ferme de Roche, grande écurie à chevaux de la Congrégation en raison de l'hospitalité exercée charitablement envers chaque homme, indépendamment de ses convictions religieuses. Bel exemple d'œcuménisme avant l'heure ! Avec le coadjuteur Boniface, au début du dix-huitième siècle, les constitutions sont éditées à deux reprises, en 1711 et en 1723, pour servir de modèle de vie. Ce début de stricte observance religieuse aggrave le conflit entre chanoines, finalement porté en cour romaine.

Au 18ème siècle, cette affaire trouvera une résolution radicale. En effet, comme les chanoines constitutionnels militaient depuis des siècles pour obtenir la libre élection de leur prévôt, ils finissent par obtenir satisfaction. Benoît XIV tranche le problème par la bulle " In Supereminenti ", du 19 août 1752 qui sécularise les chanoines et les biens de la Congrégation situés sur les Etats sardes. Avec beaucoup de peine la Congrégation survit à cette épreuve.

Contrairement à la majorité des ordres religieux du monde, la Révolution française ne ravage pas la petite congrégation des chanoines du Gd-St-Bernard. Au contraire, elle contribue à sa renommée. En effet, dans une Europe à feu et à sang, l'hospice devient un havre de paix et de gratuité, permettant aux exilés et aux soldats de faire une halte bienfaisante dans leurs itinéraires tourmentés. Ainsi les nombreux passants font des chiens du Grand-Saint-Bernard un symbole de la charité chrétienne qui est exercée sur le col du même nom. A la suite du passage de Bonaparte et de son armée de Réserve sur l'antique col, en mai 1800, Le Premier Consul signera le décret de fondation et de dotation de l'hospice du Simplon qu'il confiera aux mêmes chanoines.

Les Révolutions de 1848 sont particulièrement pénibles pour la Congrégation. Le prévôt Filliez (1830-1868), représentant le clergé à la diète y défend des opinions tranchées en faveur des privilèges du clergé dont il se fait l'apôtre virulent. Ses positions lui valent l'exil en Vallée d'Aoste - avec en prime une tentative d'assassinat durant sa fuite - ainsi que la sécularisation et la vente aux enchères des biens de la Congrégation, dont la ferme de Roche, perdue définitivement. Lorsque la raison finit par l'emporter sur la vengeance, les chanoines retrouvent une partie de leurs biens, avec une énorme dette de guerre à éponger.

Après plus de 12 siècles d'histoire et 950 ans après la fondation de l'hospice du Mont Joux par l'archidiacre Bernard de la cité d'Aoste, la Congrégation vit une période de mutations. En effet, les progrès technologiques qui ont facilité le transit des personnes et des marchandises au travers des Alpes, avec le percement du tunnel du Simplon (tunnel ferroviaire, 1906), puis de celui du Gd-St-Bernard (tunnel routier, 1964), la nécessité matérielle des hospice a disparu. De plus, en raison d'abus qui ont failli mettre la Congrégation en faillite, la gratuité de l'hospitalité a été supprimée vers 1940.
Aujourd'hui les hospices ne sont pas des maisons vides. En raison du stress de la vie du monde qui recherche le profit et la rentabilité, souvent au détriment de l'être humain, des hommes se mettent en route pour se ressourcer et fréquentent les hospices.
De plus, juridiquement parlant, la Congrégation ne se pense plus comme un unique monastère qui comprend des membres s'occupant de différentes œuvres et travaillant pour le bien le l'hospice du Gd-St-Bernard, ce qui était le cas jusqu'en 1959, mais comme une Congrégation avec plusieurs œuvres dont des hospices, des secteurs paroissiaux, une mission à Taïwan, une école d'agriculture à Aoste, un séminaire et une Maison pour le prévôt et les confrères âgés. Les constitutions sont en chantier pour refléter un idéal en mutation.


Eléments de bibliographie

Etudes historiques sur la Congrégation
DUC E.-P., La Maison du Grand-Saint-Bernard et ses très révérends prévôts, Imprimerie valdôtaine Aoste 2000(2) (édition anastatique de celle de 1898, mise à jour par Mgr Angelin Lovey).
QUAGLIA L., La Maison du Grand-Saint-Bernard des origines aux temps actuels, Pillet Martigny 1972(2) (première édition de 1955).
ZENHÄUSERN G., Le Grand-Saint-Bernard, in Helvetia Sacra IV.1 Les Ordres suivant la règle de Saint-Augustin, Les chanoines réguliers de Saint-Augustin en Valais, Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le Main 1997, p. 23-220.
ZENHÄUSERN G. & KALBERMATTER Ph., Appendice : Les dépendances du Grand-Saint-Bernard, in Helvetia Sacra IV.1 Les Ordres suivant la règle de Saint-Augustin, Les chanoines réguliers de Saint-Augustin en Valais, Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le Main 1997, p. 221-278.

Vie de S Bernard, archidiacre d'Aoste
DONNET A., Saint Bernard et les origines de l'hospice du Mont-Joux, Saint-Augustin Saint-Maurice 1942.
QUAGLIA L., Saint Bernard de Montjou d'après les documents liturgiques, Revue d'histoire ecclésiastique suisse 38 (1944), p. 1-32.
QUAGLIA L., Saint Bernard de Montjou patron des alpinistes, Imprimerie Valdôtaine Aoste 1995(2) (première édition de 1985).
JUDICA CORDIGLIA G., Saint Bernard et les restes de ses ossements en la cathédrale de Novare, Bulletin de l'Académie Saint-Anselme 65 (1970-71), p. 41-53.

Archéologie du col du Gd-St-Bernard
BERARD E., Appendice aux antiquités romaines et du Moyen Age dans la vallée d'Aoste, J.-B. Paravia et compagnie Turin 1888.
GEISER A., Grand-Saint-Bernard, les monnaies antiques, guide de l'exposition, Crédit Suisse Lausanne 1989.
WALSER G., Le temple de Jupiter au Grand-Saint-Bernard, Bulletin d'études préhistoriques alpines 18 (1986), p. 55-62.

Quelques monographies
BLONDEL L, L'hospice du Grand-Saint-Bernard. Etude archéologique, Vallesia 2 (1947), p. 19-44.
CUGNAC de (capitaine), Campagne de l'armée de Réserve en 1800. Tome 2 Marengo, R. Chapelot et Cie Paris 1901.
GATTLEN A., L'estampe topographique du Valais 1548-1850, Pillet Martigny / Rotten-Verlags AG Brigue 1987.
HUOT F., Bourg-Saint-Pierre (Saint-Pierre du Mont-Joux), in Helvetia Sacra III.1 Die Orden mit Benediktinerregel. Frühe Kloster, die Benediktiner und Benediktinerinnen in der Schweiz, Francke Verlag, Berne, 1986, p. 248-252.
MARQUIS M., Grand Saint Bernard. Chiens, Cani, Hunde, Dogs, Editions du Grand-Saint-Bernard Martigny 1988.
MURITH L.-J., Réponse de M. Murith, chanoine régulier, prieur de Martigni, aux questions que j'avois eu l'honneur de lui poser, in MANGOURIT M., Le Mont-Joux ou le Mont-Bernard, Cabinet et Salon de Lecture Boulevart Cérutti Paris 1802, p. 37-55.
QUAGLIA L. & GIROUD Ch., Les constitutions de la prévôté du Grand-Saint-Bernard, S.A.S.T.E. Turin 1956.
QUAGLIA L., Relation de la prévôté du Gd-Saint-Bernard avec les évêques diocésains, in Ordo canonicus, Confédération des chanoines réguliers Neustift 1986, p. 62-75.
RIVAZ P. (de), L'Hospice du Grand St-Bernard au XVIIIe siècle, Annales Valaisannes 2ème série (1940-1942), p. 327-329.
THURRE D., L'hospice de Grand-St-Bernard son église, son trésor, Société d'Histoire de l'Art en Suisse Berne 1994.

Chne Jean-Pierre Voutaz, 10 février 2004

 

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Histoire des archives du Gd-St-Bernard

Pour l'histoire des archives, nous reprenons l'article de l'ancien archiviste du canton du Valais, M André Donnet, Notes sur les archives de l'hospice du Grand-St-Bernard, in Coll., Mélanges offerts à M. Paul-E. Martin, Genève 1961, p. 213-221, sans les notes de bas de page, renvoyant le lecteur à l'article lui-même pour une étude plus approfondie.

NOTE SUR LES ARCHIVES DE L'HOSPICE

DU GRAND ST-BERNARD

par

André DONNET

Si, à l'hospice du Mont-Joux, fondé vers le milieu du XIe siècle par saint Bernard des Alpes, on conserve des documents originaux remontant au XIIe siècle, il faut attendre le XVe pour rencontrer, dans les Constitutions, des ordonnances concernant les archives.
Au cours de sa période de croissance, la congrégation n'a cessé d'évoluer. Il se forme peu à peu plusieurs centres administratifs plus ou moins autonomes:
l'hospice lui-même avec le chapitre claustral; à Aoste, le prieuré de St-Bénin, puis celui de St-Jacquême; en Valais, la rectorie de Sion; sur les bords du lac Léman, les prieurés de Meillerie et d'Etoy. Dans le sillage des comtes puis ducs de Savoie, protecteurs insignes de l'hospice et de ses bénéfices, le centre de la prévôté tend à se fixer au nord des Alpes, à Meillerie, à Roche, à Etoy, à Rive-sous-Thonon.

Les constitutions dressées au XVe siècle font bien apparaître les courants qui travaillent la congrégation.
Le projet du prévôt Jean d'Arces, en 1437, cherche à légitimer la situation de fait, qui est favorable au prévôt et aux maisons de Meillerie et d'Etoy. En revanche, les constitutions, élaborées l'année suivante (1438) par ordre du cardinal Jean Cervantes, montrent plutôt l'idéal auquel la congrégation doit tendre, qui sera réalisé dans un organisme bien hiérarchisé, centralisateur, mettant en pratique la communauté des biens et reconnaissant la primauté effective de l'hospice en sa qualité de maison mère, hospitale et membra ejus.
Les articles des constitutions relatifs aux archives reflètent quelque peu ces courants.
Ainsi, dans celles de 1437, il est ordonné aux bénéficiers de dresser, de tous les biens mobiliers et immobiliers, des revenus, censes, services et quêtes, un inventaire général dont le prévôt présentera une copie à chaque chapitre. S'il est prescrit d'établir à Meillerie ou à Etoy une sorte de bibliothèque centrale qui réunira des ouvrages de théologie, de droit canon et civil, de médecine, etc., il est toutefois ordonné de transporter au Mont-Joux les bulles et documents concernant ledit hospice et de les déposer dans l'arche du trésor. Quant aux documents relatifs à Meillerie, à Etoy, à Pisy, à Rive-sous-Thonon, ils seront concentrés à Meillerie; le prévôt se réserve le droit de les faire éventuellement transférer à l'hospice; en tout cas, il en sera établi un inventaire qui y sera déposé.
Les constitutions de 1438, au contraire, édictent des mesures infiniment plus centralisatrices. Tout d'abord, prévôt, prieurs, curés, administrateurs ou officiers de l'hospice et de ses membres sont tenus, dans le délai d'un an, de dresser, s'ils ne l'ont déjà fait, les registres, récognitions et inventaires dans lesquels seront soigneusement décrits les biens, droits, revenus, etc., de la congrégation; il en sera fait un grand livre en parchemin qui demeurera à perpétuité dans le monastère du Mont-Joux... En outre, toutes les bulles de l'hospice et de ses membres seront conservées à l'hospice lui-même, dans une arche propre et bien fermée, munie de clefs.

Dès la fin du XVe siècle la prévôté se trouve désaxée au point de vue politique: en 1476, l'hospice est annexé au Valais; au XVIe siècle, la maison de Savoie est momentanément refoulée au-delà des Alpes; le prévôt, qui réside désormais à Aoste, échappe à l'influence valaisanne et reste dévoué aux ducs de Savoie. Enfin, la commende et la Réforme portent un rude coup aux bénéfices du Mont-Joux dans le Pays de Vaud et à Genève.
Ce déséquilibre politique est encore aggravé par la querelle de l'observance. Si les constitutions de 1438 ne sont pas restées lettre morte, elles n'ont pas non plus été mises intégralement à exécution; même l'influence du concile de Trente ne réussit pas à provoquer une réaction durable. Il en résulte néanmoins la formation de deux clans, partisans et adversaires de l'observation stricte des constitutions. Les premiers, en particulier les claustraux, trouvent un appui auprès de l'évêque de Sion et, par celui-ci, auprès du nonce de Lucerne. Les adversaires, qui s'efforcent de faire prévaloir une adaptation des constitutions, sont soutenus par le prévôt et par la maison de Savoie.
La lutte des deux clans, exaspérée encore par des questions politiques, matérielles, personnelles, aboutit finalement au démembrement de la prévôté: la bulle de Benoît XIV, du 19 août 1752, sécularise tous les bénéfices (à l'exception des églises paroissiales) situés dans les Etats sardes et les réunit à l'ordre mauricien; les religieux qui s'y trouvent sont également sécularisés. En rendant aux chanoines de l'hospice du Grand St-Bernard la liberté d'élire leur supérieur général, le Saint-Siège leur donne satisfaction pour le fond, mais les prive de tous leurs revenus au-delà des Alpes.
Au cours de ces luttes, il est souvent question des archives de la maison. On déplore la perte de nombreux documents dans les incendies dont a été victime l'hospice, en particulier dans celui de 1555. Au siècle suivant, les prévôts valdôtains font transporter au prieuré de St-Jacquême, à Aoste, une bonne partie des documents conservés au monastère. C'est chose faite en 1621,où l'inventaire, établi cette année-là, mentionne, "en la chambre du trésor, 55 buffets en bois de sapin dans lesquels autrefois l'on tenait les droits de la maison", et "...dans trois qui se ferment, plusieurs écritures, meme les livres de récognitions de Meillerie... ". La situation est toujours semblable à la fin de la prévôté de Roland Viot (1611-1644). Les nonces de Lucerne, par deux fois, font restituer les archives à la maison mère; mais sous le prévôt Norat (1671-1693), par avis de la cour de Turin, elles sont, pour la 3me fois, derechef ramenées à Aoste, où elles se trouveront encore au moment de la Séparation.

C'est donc sans réel succès que Louis Boniface, coadjuteur (1700-1724), fait aménager, en 1716, au-dessus de la sacristie de l'église conventuelle, un local d'archives. C'est en vain aussi que le chapitre de 1718 renouvelle l'ordre, prescrit par les constitutions de 1438 (art. 43), de dresser le liber magnus dans un délai de trois ans, et de réunir dans les archives du monastère tous les documents concernant l'hospice et ses membres ~. Et même, à la mort du prévôt Persod (1724), quand il établit l'inventaire des titres de Mont-Joux conservés au prieuré de St-Jacquéme, Joachim de La Grange, commandant du duché d'Aoste, fait, au dire "de quelques religieux dignes de foi", brûler tous les documents qui ne sont pas favorables aux droits de Sa Majesté sarde.
Quoi qu'il en soit, l'inventaire des titres conservés à l'hospice, en 1750, fait apparaître, une fois de plus, que les documents relatifs aux possessions d'outre-monts sont demeurés à St-Jacquême. A la Séparation, ils sont transportés dans les archives de l'ordre mauricien, partie à Turin, partie à Aoste même, tandis que les documents restés à l'hospice sont provisoirement transférés, en 1749, à la rectorie de Martigny, "par crainte d'un coup de main des Savoisiens".
Cependant, dans la masse des titres emportés à Turin, il y en a de nombreux qui concernent l'administration générale de la congrégation et les biens qu'elle continue à posséder hors des Etats de Sa Majesté sarde.
C'est pourquoi les religieux hospitaliers ne tardent pas à intervenir pour réclamer ces documents. Ils ne parviendront pas à leurs fins sans difficultés. "En 1757, on envoie à la sourdine, écrit le chanoine J.-J. Darbellay, M. le cellérier à la cour de Turin pour avoir nos titres et n'obtient rien. On accorde enfin la requête en 1767...". En effet, à cette date, le contrôleur général des Finances invite les religieux à députer un chanoine "pour assister à la séparation des titres" qu'ils ont demandés "et pour les retirer de M. l'archiviste". "Mais, poursuit Darbellay, celui qui l'avait octroyée [la requête] fut soupçonné de trahison et l'octroi, pendu au croc jusqu'en 1785 oû l'on obtint, dît-on, tout ce qu'on demanda, à peu de chose près".
En réalité, c'est au chapitre du 26 août 1783 que les chanoines J.-J. Ballet, curé de Sembrancher, et L.-J. Murith, curé de Liddes, sont désignés pour se rendre à Turin. Leur mission accomplie, ils sont en mesure de remettre au prévôt Luder, le 28 janvier 1785, l'état des documents qu'ils ont pu récupérer, soit environ 500 titres. Toutefois, ceux qui sont relatifs aux anciens bénéfices de la maison en terre sarde restent à Turin et constituent une telle masse "que le seul regeste remplit 9 in-folio". Il semble que, dès lors, les archives de l'hospice ne subirent plus de bouleversements; les documents y sont par la suite rassemblés normalement.

Les archives sont actuellement conservées au deuxième étage de l'hospice, dans un local aménagé dans une annexe contiguë à l'église, au sud. Elles y ont été transférées en 1952 de l'ancien local au-dessus de la sacristie, où Boniface les avait installées au XVIIIe siècle.
Des rayonnages recouvrent les parois latérales éclairées par la fenêtre ouverte vis-à-vis de la porte; une table et une chaise, qui occupent le centre de la pièce, sont toutefois les seules commodités offertes au chercheur.
En effet, c'est un ordre fort sommaire qui a présidé à la distribution générale des dossiers (parchemins, papiers, registres, etc.): ceux-ci sont disposés sur les rayons, verticalement et horizontalement, en fonction de leur format ou de leur masse. Une étiquette renseigne sur le contenu de chaque rayon, mais cette étiquette ne porte pas de cote. De plus, Si les pièces, dans les dossiers, sont ordinairement rangées par ordre chronologique, elles ne sont pas non plus munies de cotes ni de numéros. Enfin, à ces inconvénients majeurs - il est impossible, dans l'état actuel du dépôt, de donner la référence exacte au document que l'on utilise, car tel dossier peut être déplacé arbitrairement avec son étiquette -, à ces inconvénients, il faut en ajouter encore un autre: on ne trouve pas, correspondant, sinon à la succession des dossiers, du moins aux dossiers eux-mêmes, un inventaire valable.
Et, pourtant, les inventaires dressés depuis la seconde moitié du XIXe siècle ne manquent pas; on en compte même plusieurs. Toutefois, aucun d'entre eux n'a été conduit -à son terme: plutôt que d'achever, en la perfectionnant, l'entreprise de son ou de ses prédécesseurs, chaque auteur a préféré recommencer le travail à sa manière, mais sans jamais, hélas parvenir à aboutir.
Quoi qu'il en soit, le chercheur qui a la chance de pouvoir bénéficier des directives du prieur claustral - auquel est en général commise la surveillance des archives - et singulièrement de la conduite de M. le chanoine L. Quaglia, qui a longtemps pratiqué les fonds de la maison nouvellement disposés par M. le chanoine Alfred Pellouchoud, ce chercheur sera en mesure de se tirer d'affaire. Il accédera facilement aux grandes séries: les classeurs de l'histoire générale, les registres de reconnaissances, les fonds de divers bénéfices, etc., non sans être gêné, pour s'y retrouver et pour citer ses sources, par l'absence de cotes et de numéros.
Il n'est pas inutile, autant pour illustrer notre propos que pour orienter les intéressés éventuels, de reproduire ci-après la succession des rubriques (état au 1.9.1959) selon l'ordre vertical: d'abord les rayonnages à main droite de l'entrée (dont la partie inférieure, plus profonde, est en saillie): ensuite les rayonnages à main gauche.


A. A main droite de l'entrée.
a) Partie supérieure
1re rangée: Comptes du procureur. - Comptes de la procure. - Administration générale. - Registres et comptes du prévôt et des autres officiers.
2me rangée: Mémoires de Boniface. - Visites; inventaires.
3me rangée: Procès concernant les religieux. - Missions. - Eglises et autels. - Messes.
4me rangée: Confrères; listes; nécrologes. - Dossiers personnels. - Prévôts. - Histoire générale 1.
5me rangée: Séparation 1 et 2. - Chapitres. - Histoire générale 2.
6me rangée: Quêtes 1 et 2. - Constitutions. - S. Bernard: vie et culte; miracles. - Histoire générale 3.

b) Partie inférieure
1re rangée: Inventaires et catalogues des archives.
5me rangée: Plans de bâtiments et de propriétés. Diplômes divers.
6me rangée: [Registres des voyageurs].


B. A main gauche de l'entrée
.
Au-dessus des rayons dans le sens horizontal: collection des registres de reconnaissances. Puis, dans le sens vertical:
1re rangée: Bourg-St-Pierre paroisse. - Liddes. - Orsières paroisse. - Sembrancher. - Martigny prieuré. - Lens. - Vouvry. - Bénéfices; Bovernier; Trient.
2me rangée: Bourg-St-Pierre maison. - Bourg-St-Pierre, affaires Drônaz. Orsières maison; Orsières-Ferret. - Martigny maison. - Maison Econnaz. - Aoste; St-Oyen. - Simplon. - Lombardie; Piémont.
3me rangée: Roche 1 et 2. - Bâle; Vaud; Fribourg. - Rectorie de Sion. - Valais: autres biens. - France: bénéfices; pensions; Angleterre. - Passages d'armée; questions militaires. - Chiens; météorologie.
4me rangée: Copies et analyses de documents bernardina. - Travaux historiques bernardina. - Manuscrits Jérôme Darbellay; chroniques et diaires de confrères. - Numismatique; archéologie; travaux originaux de confrères. - Union avec St-Maurice; avec Verrès. - Limites territoriales, routes; questions officielles P.T.T., douanes, route. - Travaux personnels Farquet. - Martigny, documents Farquet.
5me rangée: Sermons [1 et 2]. - Spiritualia. - Historica non bernardina. - Evénements politiques; actes épiscopaux sedunensia. - Travaux du chanoine Jules Gross. - Travaux scientifiques. - Cours manuscrits de théologie, de philosophie, etc.
6me rangée: Vieux parchemins de peu d'intérêt; Giétroz. - Liddes: actes des notaires F. Challand et Barth. Massard. - Extranea in Vallesia. - Extranea extra Vallesiam. - Extranea in valle Augustana. - Correspondances variées. - Correspondances Farquet et Cerrutti. - Correspondances Favre et Besse.


Pour achever ce bref aperçu, nous nous permettons d'émettre un voeu: que, pour la bonne garde du dépôt et pour la tranquillité des autorités responsables, un religieux expérimenté entreprenne sans tarder de remédier à cette situation. En utilisant systématiquement et judicieusement les tentatives de ses nombreux prédécesseurs, il pourra enfin mener à terme l'inventaire digne d'un fonds aussi riche que celui de l'hospice du Grand St-Bernard.

André Donnet

 

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