Archives du Grand-Saint-Bernard
Introduction
Table des matières:
1 Histoire de la Congrégation des
chanoines du Gd-St-Bernard
2 Aperçu de l'histoire des archives du Gd-St-Bernard (1961)
3 Les archives de la Congrégation aujourd'hui (2004)
4 Quelques documents remarquables
Aperçu historique de la Congrégation des chanoines du Gd-St-Bernard
Déjà la Table de Peutinger, copie d'une carte géographique
romaine du quatrième siècle, mentionne le nom " In Summo
Pennino " entre la ville de Martigny et celle d'Aoste. Il s'agit du
col du Mont-Joux, l'actuel col du Grand-Saint-Bernard (2473 m.), antique lien
entre le Nord et le Sud des Alpes.
Des fouilles archéologiques entreprises sur ce col ont mis à jour
de nombreuses monnaies gauloises déposées au pied d'un rocher
sur lequel était vénéré Pen, divinité véragre
des sommets. C'est ce dieu qui a donné son nom à tout le cirque
des alpes environnantes, les Alpes pennines. Après la conquête
romaine du Valais, vers 15 avant Jésus-Christ, l'empereur Claude fait
construire un temple (11m 30 sur 7m 40) au dieu du lieu qu'il assimile sous
le nom de Jupiter Pennin. A cet emplacement, les archéologues ont découvert
de nombreux ex-voto de bronze, divers objets courants ainsi qu'une collection
d'environ 2'000 pièces de monnaies romaines attestant ainsi un culte
à Jupiter durant les premiers siècles de notre ère. Sous
l'empereur Théodose, les cultes païens sont interdits au profit
de la religion chrétienne qui s'établit définitivement
dans l'Empire romain. Ces derniers sont ainsi abandonnés, puis oubliés.
Un long silence couvre la période des invasions barbares à l'ère
carolingienne, puis quelques documents épars nous apprennent l'existence
d'un monastère du Mont-Joux, situé à Bourg-Saint-Pierre
: Vulgarius y était abbé aux alentours de 820. Vers l'an 900,
sont mentionnés les marronniers, guides de montagne qui vont chaque jour
de l'hiver à la rencontre des passants. Ils accompliront leur travail
jusqu'au début du vingtième siècle, lorsque l'invention
du téléphone consignera leur métier dans les encyclopédies.
Le dixième siècle voit sombrer ce monastère, ravagé
tour à tour par les invasions de Hongrois (924) puis de Sarrasins (vers
940). Vers l'an mil, Hugues II, évêque de Genève, fait rebâtir
l'église de Bourg-Saint-Pierre. La sacristie et le clocher actuels datent
de cette reconstruction.
Nous ne savons que peu de choses concernant saint Bernard de Menthon qui restaure
le monastère du Mont-Joux au milieu du onzième siècle lorsqu'il
fonde son hospice dédié à saint Nicolas de Myre. Les archives
de l'hospice conservent un fragment de manuscrit du onzième siècle
contenant le début de la légende de saint Nicolas (AGSB 2565).
Si ce document a appartenu à saint Bernard, c'est l'unique rescapé
de dix siècles d'histoire. Quant à saint Bernard, il est enterré
à Novare le 15 juin 1081 ou 1086. D'après son squelette, analysé
en 1965, il est mort vers l'âge de 60 ans, ce qui situe sa naissance vers
1020. Des constructions auxquelles il a travaillé, nous pouvons encore
voir, dans les caves de l'hospice actuel, le rez-de-chaussée de son hospice
(18 m sur 13,50 m) et la grotte dans laquelle il se retirait (1,80 m sur 1,25
m).
Les anciennes possessions du monastère de Mont-Joux semblent avoir été
transférées à l'œuvre de Bernard de Menthon dont la
devise : " Hic Christus adoratur et pascitur " (ici le christ est
adoré et nourri) exprime l'idéal évangélique. En
effet, une communauté de chanoines réguliers chante l'office choral
et sert son Seigneur dans ses frères qui franchissent le col du Mont-Joux.
Ce service hivernal n'est pas exempt de dangers ; la mort sévit souvent.
Le froid, la neige et les avalanches emportent des passants, et même les
chanoines qui vont les secourir. Ainsi les voyageurs font de grandes dotations
en reconnaissance du sauvetage de leurs vies. Comme cet hospice ne cesse de
s'enrichir, la convoitise des puissants tente de s'en approprier les revenus.
Après des siècles d'expansion, la Congrégation va connaître
une fin de Moyen-Âge troublée. Lors du Grand Schisme, la prévôté
du Mont-Joux obtient une première fois le privilège de l'exemption
de l'antipape Jean XXIII le 15 mars 1411 (AGSB 237), confirmée définitivement
par Nicolas V le 17 avril 1453 (AGSB 254). Ainsi elle quitte la juridiction
de l'évêque de Sion pour ne dépendre que du Saint-siège
pour ce qui concerne son organisation interne. C'est un élément
positif, manifestant une plus grande autonomie par rapport aux diocèses,
mais c'est à double tranchant. En effet, le spectre de la commande menace
l'église au 15ème siècle (des laïcs deviennent supérieurs
de monastères pour tirer profit des revenus de ces derniers, laissant
aux prieurs claustraux le soin desdits monastères), et le Saint-Bernard
n'est pas exempt de ces soucis. En 1437, puis 1438, des nouvelles constitutions
sont rédigées afin d'éviter la commende. Le résultat
reste cependant peu concluant : Jean de Grolée est nommé premier
prévôt commendataire par le pape Eugène IV, le 28 février
1437 (la commende durera jusqu'en 1586), tandis que les constitutions garantissant
la liberté d'élection du prévôt par le chapitre conventuel
sont promulguées le 15 mai 1438 (AGSB 694). Deux éléments
politiques vont envenimer l'affaire :
1. Le dernier antipape de la chrétienté, Félix V (1439-1449),
qui est aussi connu sous le nom d'Amédée VIII comte de Savoie,
dépose la tiare en 1449 et reconnaît Nicolas V (1447-1455) comme
Souverain Pontife légitime. En contrepartie, Sa Sainteté lui promet
de le consulter pour repourvoir les grands bénéfices - évêchés
et abbayes, dont le Saint-Bernard - qui deviendraient vacants sur l'étendue
du territoire savoyard. Cette concession, aussi valide pour ses successeurs,
est aussitôt interprétée comme un droit de nomination. (Le
texte de ce privilège de Nicolas V est intégralement publié
dans DUC J.-A., Histoire de l'Eglise d'Aoste. Tome 4, H. Leibzig Châtel-St-Denis
1909, p. 467-469).
2. Durant les guerres de Bourgogne, les Sept Dizains du Haut-Valais s'allient
avec Berne, contre la duchesse Yolande de Savoie. Ils en profitent pour annexer
définitivement le Bas-Valais lors de la bataille de la Planta du 13 novembre
1475. La maison de Savoie, ancien maître de ces terres, n'acceptera ce
nouvel état de faits qu'en 1528, essayant cependant de conserver si ce
n'est l'hospice du Grand-Saint-Bernard, du moins le contrôle de sa source
d'eau potable, le problème de frontière ne sera résolu
qu'en 1906 (AGSB 154 et AGSB Plan 13).
L'hospice devenu valaisan, certains chanoines commencent à contester la nomination de leur prévôt par les ducs de Savoie. Ainsi la congrégation finit par se diviser en deux clans : les constitutionnels, à majorité valaisanne et soutenus par l'évêque de Sion et le nonce de Lucerne, revendiquant la libre élection du prévôt par le chapitre claustral telle que le prévoient les constitutions de 1438, et les anticonstitutionnels, à majorité savoyarde soutenus par le prévôt et la cour de Savoie, qui légitiment la coutume. Avec cette dynamique, la Réforme passe presque inaperçue ; en 1536, Berne l'amène à Genève et sécularise les biens paroissiaux situés sur les actuels cantons de Vaud et de Genève (quelques ouvrages liturgiques à l'usage du diocèse de Genève ont été sauvés à cette occasion et amenés à l'hospice où ils y sont encore), respectant la ferme de Roche, grande écurie à chevaux de la Congrégation en raison de l'hospitalité exercée charitablement envers chaque homme, indépendamment de ses convictions religieuses. Bel exemple d'œcuménisme avant l'heure ! Avec le coadjuteur Boniface, au début du dix-huitième siècle, les constitutions sont éditées à deux reprises, en 1711 et en 1723, pour servir de modèle de vie. Ce début de stricte observance religieuse aggrave le conflit entre chanoines, finalement porté en cour romaine.
Au 18ème siècle, cette affaire trouvera une résolution radicale. En effet, comme les chanoines constitutionnels militaient depuis des siècles pour obtenir la libre élection de leur prévôt, ils finissent par obtenir satisfaction. Benoît XIV tranche le problème par la bulle " In Supereminenti ", du 19 août 1752 qui sécularise les chanoines et les biens de la Congrégation situés sur les Etats sardes. Avec beaucoup de peine la Congrégation survit à cette épreuve.
Contrairement à la majorité des ordres religieux du monde, la Révolution française ne ravage pas la petite congrégation des chanoines du Gd-St-Bernard. Au contraire, elle contribue à sa renommée. En effet, dans une Europe à feu et à sang, l'hospice devient un havre de paix et de gratuité, permettant aux exilés et aux soldats de faire une halte bienfaisante dans leurs itinéraires tourmentés. Ainsi les nombreux passants font des chiens du Grand-Saint-Bernard un symbole de la charité chrétienne qui est exercée sur le col du même nom. A la suite du passage de Bonaparte et de son armée de Réserve sur l'antique col, en mai 1800, Le Premier Consul signera le décret de fondation et de dotation de l'hospice du Simplon qu'il confiera aux mêmes chanoines.
Les Révolutions de 1848 sont particulièrement pénibles pour la Congrégation. Le prévôt Filliez (1830-1868), représentant le clergé à la diète y défend des opinions tranchées en faveur des privilèges du clergé dont il se fait l'apôtre virulent. Ses positions lui valent l'exil en Vallée d'Aoste - avec en prime une tentative d'assassinat durant sa fuite - ainsi que la sécularisation et la vente aux enchères des biens de la Congrégation, dont la ferme de Roche, perdue définitivement. Lorsque la raison finit par l'emporter sur la vengeance, les chanoines retrouvent une partie de leurs biens, avec une énorme dette de guerre à éponger.
Après plus de 12 siècles d'histoire et 950 ans après la
fondation de l'hospice du Mont Joux par l'archidiacre Bernard de la cité
d'Aoste, la Congrégation vit une période de mutations. En effet,
les progrès technologiques qui ont facilité le transit des personnes
et des marchandises au travers des Alpes, avec le percement du tunnel du Simplon
(tunnel ferroviaire, 1906), puis de celui du Gd-St-Bernard (tunnel routier,
1964), la nécessité matérielle des hospice a disparu. De
plus, en raison d'abus qui ont failli mettre la Congrégation en faillite,
la gratuité de l'hospitalité a été supprimée
vers 1940.
Aujourd'hui les hospices ne sont pas des maisons vides. En raison du stress
de la vie du monde qui recherche le profit et la rentabilité, souvent
au détriment de l'être humain, des hommes se mettent en route pour
se ressourcer et fréquentent les hospices.
De plus, juridiquement parlant, la Congrégation ne se pense plus comme
un unique monastère qui comprend des membres s'occupant de différentes
œuvres et travaillant pour le bien le l'hospice du Gd-St-Bernard, ce qui
était le cas jusqu'en 1959, mais comme une Congrégation avec plusieurs
œuvres dont des hospices, des secteurs paroissiaux, une mission à
Taïwan, une école d'agriculture à Aoste, un séminaire
et une Maison pour le prévôt et les confrères âgés.
Les constitutions sont en chantier pour refléter un idéal en mutation.
Eléments de bibliographie
Etudes historiques sur la Congrégation
DUC E.-P., La Maison du Grand-Saint-Bernard et ses très révérends
prévôts, Imprimerie valdôtaine Aoste 2000(2) (édition
anastatique de celle de 1898, mise à jour par Mgr Angelin Lovey).
QUAGLIA L., La Maison du Grand-Saint-Bernard des origines aux temps actuels,
Pillet Martigny 1972(2) (première édition de 1955).
ZENHÄUSERN G., Le Grand-Saint-Bernard, in Helvetia Sacra IV.1 Les Ordres
suivant la règle de Saint-Augustin, Les chanoines réguliers de
Saint-Augustin en Valais, Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le
Main 1997, p. 23-220.
ZENHÄUSERN G. & KALBERMATTER Ph., Appendice : Les dépendances
du Grand-Saint-Bernard, in Helvetia Sacra IV.1 Les Ordres suivant la règle
de Saint-Augustin, Les chanoines réguliers de Saint-Augustin en Valais,
Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le Main 1997, p. 221-278.
Vie de S Bernard, archidiacre d'Aoste
DONNET A., Saint Bernard et les origines de l'hospice du Mont-Joux, Saint-Augustin
Saint-Maurice 1942.
QUAGLIA L., Saint Bernard de Montjou d'après les documents liturgiques,
Revue d'histoire ecclésiastique suisse 38 (1944), p. 1-32.
QUAGLIA L., Saint Bernard de Montjou patron des alpinistes, Imprimerie Valdôtaine
Aoste 1995(2) (première édition de 1985).
JUDICA CORDIGLIA G., Saint Bernard et les restes de ses ossements en la cathédrale
de Novare, Bulletin de l'Académie Saint-Anselme 65 (1970-71), p. 41-53.
Archéologie du col du Gd-St-Bernard
BERARD E., Appendice aux antiquités romaines et du Moyen Age dans la
vallée d'Aoste, J.-B. Paravia et compagnie Turin 1888.
GEISER A., Grand-Saint-Bernard, les monnaies antiques, guide de l'exposition,
Crédit Suisse Lausanne 1989.
WALSER G., Le temple de Jupiter au Grand-Saint-Bernard, Bulletin d'études
préhistoriques alpines 18 (1986), p. 55-62.
Quelques monographies
BLONDEL L, L'hospice du Grand-Saint-Bernard. Etude archéologique, Vallesia
2 (1947), p. 19-44.
CUGNAC de (capitaine), Campagne de l'armée de Réserve en 1800.
Tome 2 Marengo, R. Chapelot et Cie Paris 1901.
GATTLEN A., L'estampe topographique du Valais 1548-1850, Pillet Martigny / Rotten-Verlags
AG Brigue 1987.
HUOT F., Bourg-Saint-Pierre (Saint-Pierre du Mont-Joux), in Helvetia Sacra III.1
Die Orden mit Benediktinerregel. Frühe Kloster, die Benediktiner und Benediktinerinnen
in der Schweiz, Francke Verlag, Berne, 1986, p. 248-252.
MARQUIS M., Grand Saint Bernard. Chiens, Cani, Hunde, Dogs, Editions du Grand-Saint-Bernard
Martigny 1988.
MURITH L.-J., Réponse de M. Murith, chanoine régulier, prieur
de Martigni, aux questions que j'avois eu l'honneur de lui poser, in MANGOURIT
M., Le Mont-Joux ou le Mont-Bernard, Cabinet et Salon de Lecture Boulevart Cérutti
Paris 1802, p. 37-55.
QUAGLIA L. & GIROUD Ch., Les constitutions de la prévôté
du Grand-Saint-Bernard, S.A.S.T.E. Turin 1956.
QUAGLIA L., Relation de la prévôté du Gd-Saint-Bernard avec
les évêques diocésains, in Ordo canonicus, Confédération
des chanoines réguliers Neustift 1986, p. 62-75.
RIVAZ P. (de), L'Hospice du Grand St-Bernard au XVIIIe siècle, Annales
Valaisannes 2ème série (1940-1942), p. 327-329.
THURRE D., L'hospice de Grand-St-Bernard son église, son trésor,
Société d'Histoire de l'Art en Suisse Berne 1994.
Chne Jean-Pierre Voutaz, 10 février 2004
Histoire des archives du Gd-St-Bernard
Pour l'histoire des archives, nous reprenons l'article de l'ancien archiviste du canton du Valais, M André Donnet, Notes sur les archives de l'hospice du Grand-St-Bernard, in Coll., Mélanges offerts à M. Paul-E. Martin, Genève 1961, p. 213-221, sans les notes de bas de page, renvoyant le lecteur à l'article lui-même pour une étude plus approfondie.
NOTE SUR LES ARCHIVES DE L'HOSPICE
DU GRAND ST-BERNARD
par
André DONNET
Si, à l'hospice du Mont-Joux, fondé vers le milieu du XIe siècle
par saint Bernard des Alpes, on conserve des documents originaux remontant au
XIIe siècle, il faut attendre le XVe pour rencontrer, dans les Constitutions,
des ordonnances concernant les archives.
Au cours de sa période de croissance, la congrégation n'a cessé
d'évoluer. Il se forme peu à peu plusieurs centres administratifs
plus ou moins autonomes:
l'hospice lui-même avec le chapitre claustral; à Aoste, le prieuré
de St-Bénin, puis celui de St-Jacquême; en Valais, la rectorie
de Sion; sur les bords du lac Léman, les prieurés de Meillerie
et d'Etoy. Dans le sillage des comtes puis ducs de Savoie, protecteurs insignes
de l'hospice et de ses bénéfices, le centre de la prévôté
tend à se fixer au nord des Alpes, à Meillerie, à Roche,
à Etoy, à Rive-sous-Thonon.
Les constitutions dressées au XVe siècle font bien apparaître
les courants qui travaillent la congrégation.
Le projet du prévôt Jean d'Arces, en 1437, cherche à légitimer
la situation de fait, qui est favorable au prévôt et aux maisons
de Meillerie et d'Etoy. En revanche, les constitutions, élaborées
l'année suivante (1438) par ordre du cardinal Jean Cervantes, montrent
plutôt l'idéal auquel la congrégation doit tendre, qui sera
réalisé dans un organisme bien hiérarchisé, centralisateur,
mettant en pratique la communauté des biens et reconnaissant la primauté
effective de l'hospice en sa qualité de maison mère, hospitale
et membra ejus.
Les articles des constitutions relatifs aux archives reflètent quelque
peu ces courants.
Ainsi, dans celles de 1437, il est ordonné aux bénéficiers
de dresser, de tous les biens mobiliers et immobiliers, des revenus, censes,
services et quêtes, un inventaire général dont le prévôt
présentera une copie à chaque chapitre. S'il est prescrit d'établir
à Meillerie ou à Etoy une sorte de bibliothèque centrale
qui réunira des ouvrages de théologie, de droit canon et civil,
de médecine, etc., il est toutefois ordonné de transporter au
Mont-Joux les bulles et documents concernant ledit hospice et de les déposer
dans l'arche du trésor. Quant aux documents relatifs à Meillerie,
à Etoy, à Pisy, à Rive-sous-Thonon, ils seront concentrés
à Meillerie; le prévôt se réserve le droit de les
faire éventuellement transférer à l'hospice; en tout cas,
il en sera établi un inventaire qui y sera déposé.
Les constitutions de 1438, au contraire, édictent des mesures infiniment
plus centralisatrices. Tout d'abord, prévôt, prieurs, curés,
administrateurs ou officiers de l'hospice et de ses membres sont tenus, dans
le délai d'un an, de dresser, s'ils ne l'ont déjà fait,
les registres, récognitions et inventaires dans lesquels seront soigneusement
décrits les biens, droits, revenus, etc., de la congrégation;
il en sera fait un grand livre en parchemin qui demeurera à perpétuité
dans le monastère du Mont-Joux... En outre, toutes les bulles de l'hospice
et de ses membres seront conservées à l'hospice lui-même,
dans une arche propre et bien fermée, munie de clefs.
Dès la fin du XVe siècle la prévôté se trouve
désaxée au point de vue politique: en 1476, l'hospice est annexé
au Valais; au XVIe siècle, la maison de Savoie est momentanément
refoulée au-delà des Alpes; le prévôt, qui réside
désormais à Aoste, échappe à l'influence valaisanne
et reste dévoué aux ducs de Savoie. Enfin, la commende et la Réforme
portent un rude coup aux bénéfices du Mont-Joux dans le Pays de
Vaud et à Genève.
Ce déséquilibre politique est encore aggravé par la querelle
de l'observance. Si les constitutions de 1438 ne sont pas restées lettre
morte, elles n'ont pas non plus été mises intégralement
à exécution; même l'influence du concile de Trente ne réussit
pas à provoquer une réaction durable. Il en résulte néanmoins
la formation de deux clans, partisans et adversaires de l'observation stricte
des constitutions. Les premiers, en particulier les claustraux, trouvent un
appui auprès de l'évêque de Sion et, par celui-ci, auprès
du nonce de Lucerne. Les adversaires, qui s'efforcent de faire prévaloir
une adaptation des constitutions, sont soutenus par le prévôt et
par la maison de Savoie.
La lutte des deux clans, exaspérée encore par des questions politiques,
matérielles, personnelles, aboutit finalement au démembrement
de la prévôté: la bulle de Benoît XIV, du 19 août
1752, sécularise tous les bénéfices (à l'exception
des églises paroissiales) situés dans les Etats sardes et les
réunit à l'ordre mauricien; les religieux qui s'y trouvent sont
également sécularisés. En rendant aux chanoines de l'hospice
du Grand St-Bernard la liberté d'élire leur supérieur général,
le Saint-Siège leur donne satisfaction pour le fond, mais les prive de
tous leurs revenus au-delà des Alpes.
Au cours de ces luttes, il est souvent question des archives de la maison. On
déplore la perte de nombreux documents dans les incendies dont a été
victime l'hospice, en particulier dans celui de 1555. Au siècle suivant,
les prévôts valdôtains font transporter au prieuré
de St-Jacquême, à Aoste, une bonne partie des documents conservés
au monastère. C'est chose faite en 1621,où l'inventaire, établi
cette année-là, mentionne, "en la chambre du trésor,
55 buffets en bois de sapin dans lesquels autrefois l'on tenait les droits de
la maison", et "...dans trois qui se ferment, plusieurs écritures,
meme les livres de récognitions de Meillerie... ". La situation
est toujours semblable à la fin de la prévôté de
Roland Viot (1611-1644). Les nonces de Lucerne, par deux fois, font restituer
les archives à la maison mère; mais sous le prévôt
Norat (1671-1693), par avis de la cour de Turin, elles sont, pour la 3me fois,
derechef ramenées à Aoste, où elles se trouveront encore
au moment de la Séparation.
C'est donc sans réel succès que Louis Boniface, coadjuteur (1700-1724),
fait aménager, en 1716, au-dessus de la sacristie de l'église
conventuelle, un local d'archives. C'est en vain aussi que le chapitre de 1718
renouvelle l'ordre, prescrit par les constitutions de 1438 (art. 43), de dresser
le liber magnus dans un délai de trois ans, et de réunir
dans les archives du monastère tous les documents concernant l'hospice
et ses membres ~. Et même, à la mort du prévôt Persod
(1724), quand il établit l'inventaire des titres de Mont-Joux conservés
au prieuré de St-Jacquéme, Joachim de La Grange, commandant du
duché d'Aoste, fait, au dire "de quelques religieux dignes de foi",
brûler tous les documents qui ne sont pas favorables aux droits de Sa
Majesté sarde.
Quoi qu'il en soit, l'inventaire des titres conservés à l'hospice,
en 1750, fait apparaître, une fois de plus, que les documents relatifs
aux possessions d'outre-monts sont demeurés à St-Jacquême.
A la Séparation, ils sont transportés dans les archives de l'ordre
mauricien, partie à Turin, partie à Aoste même, tandis que
les documents restés à l'hospice sont provisoirement transférés,
en 1749, à la rectorie de Martigny, "par crainte d'un coup de main
des Savoisiens".
Cependant, dans la masse des titres emportés à Turin, il y en
a de nombreux qui concernent l'administration générale de la congrégation
et les biens qu'elle continue à posséder hors des Etats de Sa
Majesté sarde.
C'est pourquoi les religieux hospitaliers ne tardent pas à intervenir
pour réclamer ces documents. Ils ne parviendront pas à leurs fins
sans difficultés. "En 1757, on envoie à la sourdine, écrit
le chanoine J.-J. Darbellay, M. le cellérier à la cour de Turin
pour avoir nos titres et n'obtient rien. On accorde enfin la requête en
1767...". En effet, à cette date, le contrôleur général
des Finances invite les religieux à députer un chanoine "pour
assister à la séparation des titres" qu'ils ont demandés
"et pour les retirer de M. l'archiviste". "Mais, poursuit Darbellay,
celui qui l'avait octroyée [la requête] fut soupçonné
de trahison et l'octroi, pendu au croc jusqu'en 1785 oû l'on obtint, dît-on,
tout ce qu'on demanda, à peu de chose près".
En réalité, c'est au chapitre du 26 août 1783 que les chanoines
J.-J. Ballet, curé de Sembrancher, et L.-J. Murith, curé de Liddes,
sont désignés pour se rendre à Turin. Leur mission accomplie,
ils sont en mesure de remettre au prévôt Luder, le 28 janvier 1785,
l'état des documents qu'ils ont pu récupérer, soit environ
500 titres. Toutefois, ceux qui sont relatifs aux anciens bénéfices
de la maison en terre sarde restent à Turin et constituent une telle
masse "que le seul regeste remplit 9 in-folio". Il semble que, dès
lors, les archives de l'hospice ne subirent plus de bouleversements; les documents
y sont par la suite rassemblés normalement.
Les archives sont actuellement conservées au deuxième étage
de l'hospice, dans un local aménagé dans une annexe contiguë
à l'église, au sud. Elles y ont été transférées
en 1952 de l'ancien local au-dessus de la sacristie, où Boniface les
avait installées au XVIIIe siècle.
Des rayonnages recouvrent les parois latérales éclairées
par la fenêtre ouverte vis-à-vis de la porte; une table et une
chaise, qui occupent le centre de la pièce, sont toutefois les seules
commodités offertes au chercheur.
En effet, c'est un ordre fort sommaire qui a présidé à
la distribution générale des dossiers (parchemins, papiers, registres,
etc.): ceux-ci sont disposés sur les rayons, verticalement et horizontalement,
en fonction de leur format ou de leur masse. Une étiquette renseigne
sur le contenu de chaque rayon, mais cette étiquette ne porte pas de
cote. De plus, Si les pièces, dans les dossiers, sont ordinairement rangées
par ordre chronologique, elles ne sont pas non plus munies de cotes ni de numéros.
Enfin, à ces inconvénients majeurs - il est impossible, dans l'état
actuel du dépôt, de donner la référence exacte au
document que l'on utilise, car tel dossier peut être déplacé
arbitrairement avec son étiquette -, à ces inconvénients,
il faut en ajouter encore un autre: on ne trouve pas, correspondant, sinon à
la succession des dossiers, du moins aux dossiers eux-mêmes, un inventaire
valable.
Et, pourtant, les inventaires dressés depuis la seconde moitié
du XIXe siècle ne manquent pas; on en compte même plusieurs. Toutefois,
aucun d'entre eux n'a été conduit -à son terme: plutôt
que d'achever, en la perfectionnant, l'entreprise de son ou de ses prédécesseurs,
chaque auteur a préféré recommencer le travail à
sa manière, mais sans jamais, hélas parvenir à aboutir.
Quoi qu'il en soit, le chercheur qui a la chance de pouvoir bénéficier
des directives du prieur claustral - auquel est en général commise
la surveillance des archives - et singulièrement de la conduite de M.
le chanoine L. Quaglia, qui a longtemps pratiqué les fonds de la maison
nouvellement disposés par M. le chanoine Alfred Pellouchoud, ce chercheur
sera en mesure de se tirer d'affaire. Il accédera facilement aux grandes
séries: les classeurs de l'histoire générale, les registres
de reconnaissances, les fonds de divers bénéfices, etc., non sans
être gêné, pour s'y retrouver et pour citer ses sources,
par l'absence de cotes et de numéros.
Il n'est pas inutile, autant pour illustrer notre propos que pour orienter les
intéressés éventuels, de reproduire ci-après la
succession des rubriques (état au 1.9.1959) selon l'ordre vertical: d'abord
les rayonnages à main droite de l'entrée (dont la partie inférieure,
plus profonde, est en saillie): ensuite les rayonnages à main gauche.
A. A main droite de l'entrée.
a) Partie supérieure
1re rangée: Comptes du procureur. - Comptes de la procure. -
Administration générale. - Registres et comptes du prévôt
et des autres officiers.
2me rangée: Mémoires de Boniface. - Visites; inventaires.
3me rangée: Procès concernant les religieux. - Missions.
- Eglises et autels. - Messes.
4me rangée: Confrères; listes; nécrologes. - Dossiers
personnels. - Prévôts. - Histoire générale 1.
5me rangée: Séparation 1 et 2. - Chapitres. - Histoire
générale 2.
6me rangée: Quêtes 1 et 2. - Constitutions. - S. Bernard:
vie et culte; miracles. - Histoire générale 3.
b) Partie inférieure
1re rangée: Inventaires et catalogues des archives.
5me rangée: Plans de bâtiments et de propriétés.
Diplômes divers.
6me rangée: [Registres des voyageurs].
B. A main gauche de l'entrée.
Au-dessus des rayons dans le sens horizontal: collection des registres de reconnaissances.
Puis, dans le sens vertical:
1re rangée: Bourg-St-Pierre paroisse. - Liddes. - Orsières
paroisse. - Sembrancher. - Martigny prieuré. - Lens. - Vouvry. - Bénéfices;
Bovernier; Trient.
2me rangée: Bourg-St-Pierre maison. - Bourg-St-Pierre, affaires
Drônaz. Orsières maison; Orsières-Ferret. - Martigny maison.
- Maison Econnaz. - Aoste; St-Oyen. - Simplon. - Lombardie; Piémont.
3me rangée: Roche 1 et 2. - Bâle; Vaud; Fribourg. - Rectorie
de Sion. - Valais: autres biens. - France: bénéfices; pensions;
Angleterre. - Passages d'armée; questions militaires. - Chiens; météorologie.
4me rangée: Copies et analyses de documents bernardina. - Travaux
historiques bernardina. - Manuscrits Jérôme Darbellay; chroniques
et diaires de confrères. - Numismatique; archéologie; travaux
originaux de confrères. - Union avec St-Maurice; avec Verrès.
- Limites territoriales, routes; questions officielles P.T.T., douanes, route.
- Travaux personnels Farquet. - Martigny, documents Farquet.
5me rangée: Sermons [1 et 2]. - Spiritualia. - Historica non
bernardina. - Evénements politiques; actes épiscopaux sedunensia.
- Travaux du chanoine Jules Gross. - Travaux scientifiques. - Cours manuscrits
de théologie, de philosophie, etc.
6me rangée: Vieux parchemins de peu d'intérêt;
Giétroz. - Liddes: actes des notaires F. Challand et Barth. Massard.
- Extranea in Vallesia. - Extranea extra Vallesiam. - Extranea in valle Augustana.
- Correspondances variées. - Correspondances Farquet et Cerrutti. - Correspondances
Favre et Besse.
Pour achever ce bref aperçu, nous nous permettons d'émettre un
voeu: que, pour la bonne garde du dépôt et pour la tranquillité
des autorités responsables, un religieux expérimenté entreprenne
sans tarder de remédier à cette situation. En utilisant systématiquement
et judicieusement les tentatives de ses nombreux prédécesseurs,
il pourra enfin mener à terme l'inventaire digne d'un fonds aussi riche
que celui de l'hospice du Grand St-Bernard.
André Donnet