SOUVENIRS DE JEUNESSE

 

CHAPITRE 1ER

Je suis né à Walewice en Pologne le 4 mai 1810 ma naissance a été accompagnée d'éclairs et de tonnerre et l'on n'a pas manqué d'en tirer le pronostic que ma vie serait orageuse et même marquante. Pour satisfaire à un vieux préjugé de famille j'ai été tenu au(x) fon(ts ?) de baptême par deux mendiants. Cela devait me porter bonheur. Six mois après ma naissance des différends, toujours très malheureux pour des enfants survenus entre mon père et ma mère firent que cette dernière quitta la Pologne pour venir avec moi et mon frère qui avait déjà 5 ans s'établir à Paris. Au reste je dois dire que l'on trouvera moins étonnant que ces différends soient survenus quand on saura que ma mère fut forcée à l'âge de 16 ans d'épouser mon père qui en avait 60. Des raisons de fortune et peut être d'amour propre avaient seules été la cause de ce mariage. Pourtant des arrangements de fortune faits à cette séparation prouvèrent bien que s'il y avait incompatibilité d'humeur mon père savait bien apprécier les bonnes qualités que tout le monde a depuis reconnues à ma mère puisqu'il lui donna la moitié de sa fortune.

Ce qui consiste presque tout notre héritage car comme j'aurai lieu de le dire plus tard, mon père fut tout à fait ruiné par un fils qu'il avait d'un premier lit et ne nous laissa qu'une terre de famille criblée de dettes dévastée et presque sans rapport.

Enfin pour en revenir à moi j'avais six mois quand ma mère vint s'établir à Paris difficilement je pourrais parler de mes toutes premières années car je n'en ai gardé d'autres souvenirs que les récits qui m'en ont été faits par des bonnes qui voient toujours dans les enfants qu'ils élèvent des prodiges de toute espèce ou par des parents pour la plupart très partiaux.

Je sais seulement qu'à l'âge de 4 ans je fis avec ma mère un voyage en Italie et en passant nous nous arrêtâmes quelques jours à l'île d'Elbe où était exilé à cette époque un illustre captif. C'est singulier j'étais bien jeune alors, et pourtant, j'ai conservé un souvenir très exact de la maison que nous habitions, de Napoléon de tout ce qu'il m'a dit, de sa tente et même des grenadiers qui la gardaient.

C'était pendant notre séjour en Italie que ma mère reçut la nouvelle de la mort de son mari. Je dois dire ici que je me rappelle encore de toute sa douleur et jamais époux chéri n'a pu être regretté plus sincèrement que lui.

Je me rappelle vaguement de Naples, du Vésuve, de la mer. Je vois ces choses là comme à travers un brouillard. Mais je me rappelle bien mieux de Murat auquel je disais toutes les fois que je le voyais qu'il devait prendre garde à lui. Car s'il regardait toujours derrière lui en montant à cheval il finirait par tomber et se casser le cou. Je me rappelle de la Reine de Naples Caroline, qui me donnait tant de joujoux que j'en ai été blasé de très bonne heure. La Princesse de Galles qui aimait beaucoup ma mère m'a laissé aussi un souvenir assez vif. Je lui disais trop souvent d'une naïveté enfantine qu'elle avait trop de trous sur la figure pour que je l'embrasse.

En revenant de Naples un corsaire nous donna la chasse et nous fûmes sur le point d'être pris cet événement fit assez d'effet sur moi pour que je ne l'oublie pas.
Enfin pour passer ... sur ces premières années de ma vie qui ne peuvent présenter aucun intérêt, je dirais seulement qu'en 1816 ma mère épousa en secondes noces le Général d'Ornano. Elle l'épousa en Belgique où il avait été exilé pour cause politique. Nous restâmes un an à Liège pendant lequel ma mère accoucha d'un troisième fils qu'elle eu l'imprudence de nourrir malgré les conseils de tous les médecins ... six mois après elle mourut d'un abcès de lait à Paris où elle était venue solliciter le rappel de son mari qu'elle avait obtenu. Cet événement très marquant de ma vie m'arriva heureusement à un âge où toutes les impressions ne peuvent encore affecter très profondément pourtant je sentis la perte que je venais de faire et je la sentis même longtemps.

Ma mère était certainement une des meilleurs femmes qui aient jamais existé je le dis sans prévention car comme on le verra plus loin les raisons du sang n'ont jamais influencé mon jugement.

Elle avait une seule chose qui l'a toujours empêchée d'être heureuse. C'est qu'elle poussait la dévotion trop loin et se reprochait toujours les choses les plus innocentes. Au reste je n'ai pas besoin de faire ici son éloge car je crois que toutes les personnes qui l'ont connue n'en ont jamais pensé que du bien.

CHAPITRE 2

Après la mort de ma mère ce fut un oncle Théodore, son frère qui fut nommé notre tuteur. Il vint nous chercher à Paris pour nous emmener en Pologne. Je ne savais pas encore un mot de polonais. Je l'appris assez vite mais l'on prétend qu'il m'est toujours resté un accent étranger.

Nous passâmes par les mains de 36 gouverneurs que la manie qu'avait Monsieur L. de changer nous procura. Enfin nous passâmes six mois dans une espèce de collège de Jésuites après cela on m'envoya à Genève. Je dirai quelques mots de mon séjour dans cette ville car quoique très jeune encore je puis dire que c'est de là que date ma vie spirituelle.

Nous étions en pension chez le recteur de l'académie et pour la première fois j'ai connu que dans quelque situation que ce soit il faut avoir une espèce de plan de conduite.

Nous étions 20 dans cette pension mais mon frère et moi avions des avantages que les autres n'avaient pas. Nous avions un gouverneur et par conséquent un appartement séparé un domestique et un peu d'argent.

La jalousie et l'envie sont de tous les âges tous nos camarades ne pouvaient pas nous souffrir et ne pouvaient pas nous pardonner ces avantages que nous avions sur eux. Nous étions continuellement l'objet de leurs plaisanteries de leurs niches enfin nous en souffrions beaucoup. Cette circonstance m'avait excessivement piqué et m'avait porté à réfléchir au moyen de la ... Je le trouvai. D'abord je fis tant que l'on finit par rappeler le gouverneur qui était avec nous. Je gardai le domestique mais je m'en servais pour rendre différents services aux autres ayant plus d'argent qu'eux je leur en prêtai ou leur faisais jouir du mien enfin je fis si bien que quand je quittais Genève j'avais 13 ans ... de 16 à 20 ans malgré cela j'étais comme un petit roi. J'arrangeais les différends, j'étais l'orateur quand il s'agissait d'obtenir quelque chose, j'avais institué une habitude assez singulière entre les enfants. C'est que l'on ne se battait plus à coups de poings mais l'on se battait en duel très régulièrement avec des bâtons ou des sabres sans tranchant. Nous avions aussi établi une espèce de maçonnerie qui existe ... ... en un mot j'ai conservé de ce temps un souvenir très agréable et c'est alors que j'ai commencé à voir que dans la vie on finissait presque toujours par réussir si on agissait d'après un plan et une ... exacte.

L'éducation de Genève a sur toutes les autres l'avantage que l'on se forme de très bonne heure et que malgré les études on va dans le monde mais dans un monde dont toutes les conversations ont un but purement scientifique, et qui ne peut nullement nuire aux études. J'étais à 12 ans très grand pour mon âge et je me considérais, déjà comme un jeune homme à un tel point que j'allais déjà un peu dans le monde à des bals à des petites soirées. Ce qui est assez extraordinaire c'est qu'à cette époque de ma vie j'étais très religieux même dévot et très fort sur tous les dogmes de la religion catholique. Genève est la capitale du protestantisme et j'étais seul ... catholique au milieu de protestants et ma plus grande occupation était des controverses religieuses. Ce qui m'avait rendu même fanatique et entraîné pour la controverse je n'ai jamais eu le temps de réfléchir aux vérités de la religion, mais après cela quand toute cette fougue a été passée, revenu en Pologne et n'ayant plus l'occasion de discuter je suis bien revenu et j'ai considéré les choses froidement et sous leur véritable point de vue.

Je suis resté à Genève quatre ans assez occupé d'études plus encore de religion et de camaraderies. La dernière année de mon séjour j'avais alors 13 ans j'allais souvent au bal et j'étais assez lié avec un polonais le Comte P. C'était un jeune homme de 24 ans il faisait les beaux jours de Genève et c'était lui qui me menait dans le monde on me donnait et je me donnais moi-même 16 ans. Il y avait une espagnole Madame de F. qui était fort jolie et qui me traitait assez bien en enfant bien ... Je m'avisais de concevoir d'autres idées et quoique bien novice encore, j'espérais être déjà un homme à bonnes fortunes c'était ma plus grande ambition. Tout cela pourtant en reste à quelques enfantillages auxquels j'attachais beaucoup de prix et dont elle se moquait.

A la même époque il m'arriva une aventure assez singulière. Il y avait à Genève une anglaise Lady L. C'était une femme d'environ 35 ans plutôt laide que jolie. Je lui plaisais assez. Elle m'invitait beaucoup à venir chez elle et surtout me menait toujours au bal. Un jour qu'elle me ramenait le soir en voiture elle commença par me donner la main puis la porter autre part enfin voulut m'embrasser. Mais cette attaque que j'aurais peut-être beaucoup aimé faire me déplut beaucoup faite par une femme car il me semblait que l'on me traitait en enfant et c'est toujours ce que j'ai le plus craint. Je la repoussais je me défendis l'on peut se figurer dans quel état cela la mit. Moi-même quand je me rappelle cette scène je ne puis m'empêcher d'en être fâché pour elle. Depuis elle ne voulut pas me revoir pourtant je lui gardai le secret sur tout ce qui s'était passé. Bien peu de temps après d'ailleurs je quittai Genève par un ordre de l'Empereur qui ordonnait à tous les sujets russes et polonais de faire leurs études dans le pays. Avant de partir il m'arriva pourtant un événement qui est assez marquant dans la vie d'un jeune homme. Une gantière eut ce que Lady L. avait voulu avoir et de la manière la plus singulière.

Je mettais infiniment d'amour propre pour passer tout à fait pour un jeune homme et par conséquent je tenais à avoir fait tout ce qu'un jeune homme de seize ans est ... connaître.

P. avec qui j'étais très lié me croyant ... beaucoup plus avancé que je ne l'étais un soir il me pria d'aller chez lui après un bal où nous avions été ensemble. Vous pouvez me rendre un service me dit-il qui je crois ne vous sera pas du tout désagréable.

J'ai arrangé par correspondance avec la marchande de gants qui loge vis à vis qu'elle doit venir ici ce soir.

Elle est même déjà dans ma chambre à coucher mais d'un autre côté au bal dont nous sortons je me suis arrangé avec une femme à laquelle je tiens bien plus et elle va venir ici incessamment. Allez donc dans la chambre à coucher avec la gantière qui ne me connaît presque pas il n'y a pas de lumière. Et elle vous prendra pour moi au moins elle ne s'apercevra de la méprise que trop tard.

Ce plan m'arrangeait assez mais m'embarrassait encore plus. Je n'aurais pas voulu pour tout au monde avouer à P. que j'étais tout à fait novice d'un autre côté que faire. Mais je me rappelais le vers de Virgile que j'avais traduit la veille. La fortune aime les audacieux.

J'allais sans lumière dans la chambre à coucher et dans la toilette que comportait l'occasion. Et les choses se passèrent si bien que si elle s'aperçut que ce n'était pas P., ce qui m'était fort égal elle ne s'aperçut pas qu'elle avait eu à faire à un enfant inexpérimenté. J'étais donc ravi satisfait plus qu'un général après une victoire remportée et c'est après ce succès que je quittais Genève pour retourner en Pologne je fis le voyage tout seul avec un vieux valet de chambre mais il ne se passa rien qui vaille la peine d'être rapporté nous fûmes pourtant attaqués une fois par des brigands. Je l'ai cru du moins mais comme il n'en résulta rien, je passerai sur tout cela légèrement et je vais reprendre le cours de mes manoeuvres à mon retour en Pologne.

CHAPITRE 3

Arrivé à Kalisz j'allais poursuivre ma route pour Varsovie qui est la terre de mon tuteur. Quand je reçus une lettre de sa femme qui m'engageait si j'arrivais assez tôt d'aller la rejoindre à 4 lieues de là pour faire avec elle le voyage de Posen et pour revenir ensuite à Kiernoza avec elle.

Ce projet me sourit beaucoup. Ma tante qui venait de se marier depuis deux ans était une petite brune ni laide ni jolie mais assez piquante. Et je n'aurais pas été fâché de lui prouver encore mieux qu'à la gantière que je n'étais plus novice. Je la rejoignis donc mais il ne se passa rien entre nous elle me parut sotte et froide. Je revins avec elle mon oncle me reçut très bien. Il est temps de dire ici quelques mots sur son coeur.