Palerme, le 8 mars 1851
Monsieur le Comte,
Je dois vous avouer que le plaisir que nous a causé votre nomination à l’ambassade d’Espagne, qui vous porte au grade le plus élevé dans la carrière diplomatique que vous parcourez avec tant d’éclat, a été bien loin de fournir une compensation au vif regret, que moi le premier, que mes enfants, que tous les napolitains qui ont eu l’honneur de vous connaître, et que le roi mon auguste souverain avant tout autre, éprouvons en vous voyant quitter Naples.
S’il vous était donc possible de faire quelques démarches pour rester chez nous, où tout le monde vous aime vous estime et vous apprécie, je vous conjure de ne pas les négliger.
Je connais l’Espagne, ce pays maussade, fastueux monotone et plein d’intrigues, où la vie par-dessus le marché est chère d’une manière ruineuse, surtout pour ceux qui sont condamnés à une grande représentation ; et où par conséquent, malgré tous les succès que doivent vous garantir vos talents, votre habileté, et votre expérience, même en admettant sous ce rapport les chances les plus favorables, il vous serait impossible de vous soustraire à d’énormes sacrifices d’argent. Entre nous soit dit les républiques ne sont pas habituellement reconnaissantes à ceux qui vouent leur fortune à les servir ; et le Prince Louis Napoléon en sait quelque chose.
Mille pardons si je me permets de vous parler avec une franchise que l’intimité seule pourrait rendre excusable, mais je réclame votre indulgence pour un tort causé par l’intérêt affectueux que vous m’inspirez.
J’ai fait avec grand plaisir la connaissance de Mr Rigault de Genouilly ; et je l’ai accueilli comme un frère d’armes que la Providence m’a envoyé pour me faire oublier à jamais la stupide démagogie de l’Amiral Baudin qui, à rebours des intérêts de la France, s’était fait en Sicile, pendant l’année 1848, l’instrument aveugle de l’égoïsme et de la perfidie britanniques.
Ceci naturellement doit rester entre nous et ne peut guère être ostensible dans les bureaux de votre légation, et pour de bonnes raisons.
Je me suis parfaitement entendu avec le digne commandant de la croisière française sur les côtes d’Italie, et en voyant le marquis Fortunato,  je vous prierai de l’en assurer de ma part.
Veuillez bien me mettre aux pieds de Madame la Comtesse Walewska, que ma Thérèse aime si tendrement ; et il vous sera facile d’imaginer combien nous serions heureux, elle et moi, de vous voir à Palerme, surtout si ce n’était pas pour nous faire des adieux
Veuillez agréer Monsieur le Comte l’assurance de ma plus haute considération.
Le Prince de Satriano
P.S. vous lirez avec quelque  intérêt  l’article que j’ai fait insérer dans un de vos journaux  sur les procédés de l’assemblée vis-à-vis du Président. Il a produit ici un fort bon effet