Pulawy, 4 novembre 1825

 

Je vous remercie, Monsieur, de m’avoir donné de vos nouvelles, et de m’avoir un peu parlé de vous, vous avez tort de vous le reprocher à moins que vous ne doutiez du véritable intérêt que je porte à tout ce qui vous regarde. Si je ne vous ai point écrit c’est parce qu’il m’est impossible de le faire sans prêcher, et que tout naturellement j’ai crains d’être ennuyeuse, mais puisque c’est vous qui le demandez, de tout mon cœur je vais causer avec vous. Vous me faîtes part de vos incertitudes, quoiqu’elles me fassent de la peine, je vous sais gré de cette franchise. N’allez pas croire parce que je suis de l’avis de votre entrée à l’école, comme moyen d’occupation que je mette de l’entêtement à ce plan, non assurément. Et si vous le remplaciez par un projet bien raisonnable, suivi d’une volonté d’exécution bien réelle, je deviendrai de votre avis. Mais qu’allez vous faire si vous renoncez à l’école? Vous commencerez beaucoup et ferez peu, vous vous laisserez entraîner à mille inutilités dont quelques unes peuvent être nuisibles.


Examinez-vous sincèrement, et avouez qu’il faut que vous receviez l’obligation de travailler, pour le faire sérieusement et avec suite, c’est donc de l’école que j’espérais cet auxiliaire, c’est là où j’espérais vous voir prendre avec plus de force morale, l’habitude de l’occupation.


A un âge aussi jeune que le vôtre dans l’ordre habituel de la vie on est encore soumis aux volontés d’un père, aux conseils d’une mère, privé de ces biens,  imposez-vous des devoirs, dans l’étude, la liberté trop entière jointe à l’inexpérience et à l’inoccupation peut devenir bien dangereuse.


Combien aussi je voudrais vous voir plus de force de caractère, sans cette qualité on reçoit tôt ou tard le joug des circonstances et des hommes, et quelquefois l’un et l’autre.


Réfléchissez, à tout ceci, et pensez que les années qui s’écoulent sont celles qui auront le plus d’influence sur le reste de votre vie.


Ne devenez pas, je vous en prie, un homme du monde, un homme de salon, sans doute il ne vous serait pas difficile d’y être du nombre des plus aimables et d’y avoir des succès, mais qu’elle carrière ! Et qu’apporte-t-elle ? Bien souvent de l’ennui et quelquefois des regrets. Sortez de la foule, devenez un homme  distingué, vous en avez les moyens si vous y joignez la volonté, donnez-vous les chances d’être utile aux autres, et les moyens d’être content de vous. Je le répète encore, ce n’est qu’avec un peu de sévérité envers vous-même dans les premiers moments que vous réussirez. Voici les conditions, c’est à vous de les juger. N.... a dit tout est marché dans la vie, faîtes donc avec vous-même celui dont les résultats vous paraîtront les meilleurs.

Combien j’ai la crainte de vous fatiguer de mes sermons, mais jugez-moi par le désir que j’ai de vous voir un être distingué, et écrivez moi afin que je sache si j’oserai continuer à vous parler de la sorte, si vous m’écoutez sans ennui, et si enfin vous avez pris quelques résolutions.


Je ne vous ai pas répondu plus tôt étant souffrante à garder le lit et quoique mieux je ne suis pas encore bien. Nous sommes à Pulawy huit ou dix femmes et le moine blanc. On y dit peu de choses importantes, et point qui mérite d’être répété.


Ce que je sais, c’est que vous devez être engagé pour les noces, vous savez qu’elles sont célébrées le 19 de novembre. On se rendra je pense à Pulawy la veille ou la surveille, si ce que vous faîtes, ou voudrez faire, n’est point dérangé par cette petite course tâchez de venir, j’aurai encore l’occasion de vous faire un sermon.


Adieu, cette lettre est déjà si longue que je répondrai une autre fois aux autres articles de la vôtre. J’espère bientôt de vos nouvelles, et vous répète les assurances de mon véritable intérêt sur tout ce qui vous occupe.
Mademoiselle d’Arnaud