Légation de la République Française à Naples

 


Mon Cher Collègue,


J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'adresser. Je me hâte de vous remercier des nouvelles fort intéressantes qu'elle contient et me recommande pour l'avenir à cette même obligeance. Je vous rendrai de mon mieux la pareille. Je puis aujourd'hui vous annoncer le départ des deux amiraux pour Palerme porteurs de conditions excellentes, honorables pour le roi, honorables pour la Sicile, honorables, et ce n'est pas ce qui me tenait le moins à cœur, pour la France et partant pour l'Angleterre. Oubli et pardon complet. Administrations complètement distinctes. Constitution de 1812 révisée, un parlement, un vice-roi, un ministère spécial à Palerme. Le maintien de l'ordre confié à Palerme même à la garde nationale, une garnison napolitaine à Syracuse et Trapani seulement, outre les points actuellement occupés. La question d'armée réservée. Il nous a fallu pour en venir là des peines infinies et j'ai cru que j'y laisserai mes os tant j'ai eu de travail à convaincre les uns et les autres et à faire marcher l'affaire un peu vite, ce qui importait grandement. Je respire depuis vingt quatre heures. C'est au roi personnellement directement que nous devons les plus grandes facilités. Quoiqu'il arrive maintenant notre rôle à tous est parfait. Nous aurons rendu un grand service à la Sicile et à Naples. On le sent très bien ici et l'on nous remercie de toutes parts. Nous avons appris à la Sicile que l'Angleterre n'était pas seule au monde. Nous avons montré à l'Angleterre que nous avions l'œil ouvert sur cette question. L'affaire est rentrée sur son véritable terrain et les intérêts de tous ont été apurés. Nous ne sommes pas responsables maintenant de la folie que les siciliens peuvent commettre et des malheurs qui en résulteraient pour eux. J'ai eu beaucoup à me louer de mon collègue d'Angleterre et de l'amiral Parker. Il y a eu chez eux intentions évidentes de bonne entente avec nous. Je compte beaucoup pour le succès à Palerme sur l'énergie et les excellentes dispositions de l'Amiral Baudin.


Nous sommes, quant à Gaëte, dans l'attente des réponses qui doivent arriver de Vienne et de Paris à la suite de la demande positive d'intervention formée par le Pape le 18 février. Les napolitains sont prêts à concourir à toute tentative de restauration du moment où ils pourront compter sur l'appui d'une des deux grandes puissances. Nous aurions un bien beau rôle à jouer ! Je soupçonne l'Autriche d'être déjà d'accord. D'ici à quinze jours la question aura pris une couleur définitive.


Le grand Duc de Toscane est toujours à Gaëte fort triste, fort abattu. J'ai immédiatement envoyé à Monsieur d’Harcourt par estafette la lettre que vous avez bien voulu me transmettre pour Madame la Grande Duchesse.


A Naples même, la chambre vient de voter à une majorité des deux tiers une adresse au roi demandant le renvoi du cabinet. Il valait mieux un ordre du jour motivé, un vote de défiance. On met par l'adresse le roi au pied du mur et l'on abuse de forces que l'on n'a pas encore. Il en résultera, je crois, la dissolution de la chambre et par compensation celle du cabinet. Le pays est très tranquille quoiqu'on en dise et l'armée nombreuse et dévouée tient en respect les agitateurs. Elle abuse bien ça et là de sa force. Mais le pays reste calme et c'est un bienfait qu'on achète volontiers par quelques inconvénients.


Veuillez agréer, mon cher collègue, l'expression de mes sentiments de haute considération et de dévouement.


 A. de Rayneval


Naples, 5 mars 1849