[En tête : Légation de la République française à Naples]
Naples, le 4 avril 1849

Mon Cher Collègue,
Je vous remercie beaucoup de vos deux lettres bien intéressantes des 21 et 31 mars. J'ai reçu la première à Palerme et n'ai pu y répondre. Hier soir, Monsieur ... m'a remis la seconde. J'ai aussitôt expédié à Monsieur d'Harcourt votre pli à l'adresse du Grand Duc.
Dieu veuille que les idées de restauration dont vous me parlez prennent de la consistance. C'est mon vœu le plus ardent. Cela épargnerait au pays une occupation qui sans cela me paraît immanquable, cela nous épargnerait à nous-mêmes de grands embarras. L'exemple serait peut-être suivi par Rome et l'Italie calmée permettrait à l'Europe de respirer.
J'ai été à Palerme avec Monsieur Temple, mon collègue d'Angleterre, pour chercher à ouvrir les yeux aux Siciliens, non que les amiraux n'y eussent parfaitement ..., mais parce que c'était donner une preuve de plus de l'intérêt que prenaient les deux puissances à la solution pacifique de la question, nous ne voulions avoir aucune responsabilité des maux sans nombre que la reprise des hostilités devait amener à la Sicile. Tous nos efforts ont été vains. Ces gens-ci n'ont aucune fermeté en présence du danger et ... du danger aucune prudence. On nous a répondu par les exagérations les plus folles. En tout cas nous n'avons rien à nous reprocher et pour ce qui me concerne j'ai atteint mon but. Il y a eu de la part de la France une tentative sérieuse de réconciliation : elle a offert à la Sicile des conditions de paix parfaitement honorables, avantageuses, acceptables ; la France a honorablement rempli son rôle ; elle peut se retirer et rendre au roi sa liberté.
On n'est pas aussi consterné de ce côté-ci que du vôtre du succès des Autrichiens. Je le croyais à peine : il a dépassé mon attente. On a détrôné Pie IX et Léopold pour n'avoir pas assez fait en faveur de la cause de l'indépendance et cependant ils avaient envoyé à eux deux vingt mille hommes en Lombardie tandis que leurs successeurs n'y ont envoyé ni un homme ni un écu !
Le gouvernement napolitain fait de la répression. Il a décrété une loi sur la presse qui met rédacteurs, gérants, imprimeurs au désespoir. On poursuit les auteurs du 15 mai. Les réfugiés pullulent à bord de nos paquebots. Tout cela n'est pas nécessaire. Le pays est facile à gouverner. Il serait habile et prudent de le faire avec ménagements.
Vous avez bien voulu me parler d'emprunt forcé. Je considère les étrangers en qualité de neutres comme exemptés de toute contribution de guerres. Nous avons réclamé ici dans le temps et si l'on n’a pas admis le principe, en fait on nous a donné raison. J'excepte les propriétaires de biens fonds,  d'immeubles. Leur qualité d'étranger ne saurait exempter leur propriété qui tient au sol et doit suivre la loi commune.
Je vous renouvelle, mon cher collègue, l'expression de mes sentiments bien dévoués.
A. de Rayneval
Je reçois des nouvelles de Sicile. Le général Filangieri a dirigé sur Cefalu et Palerme une colonne qui n'éprouvait pas de résistance, et sur Catane une autre qui arrêtée à Taormine a fait sauter le fort et s'est emparée de la position.
A.R.