Naples, le 21 avril 1849

Mon Cher Collègue,
Je ne veux pas manquer de vous remercier de votre dernière lettre que les gros temps ont fort retardée. Nous n'avions pas hésité à parler dans le sens qui est le vôtre. L'amiral Baudin est allé offrir au Grand Duc des moyens de transport et l'a longuement entretenu de la situation, des inconvénients, des dangers d'une intervention étrangère. Monsieur d'Harcourt a parlé dans le même sens. J'aurais bien pu voir le Grand Duc et réciter la même leçon si j'y avais vu le moindre avantage. Nous sommes suspects à l'endroit de l'intervention autrichienne et nos conseils ne passent pas pour être désintéressés. On aurait cru à un complot et nous aurions perdu toute créance. J'ai préféré agir sur l'entourage et j'ai parlé au Pape, au cardinal Antonelli, au comte Esterhazy, à Monsieur de B..., ministre de Russie, dont les conseils ne doivent pas avoir le défaut des nôtres. Le Grand Duc est incertain, flottant, timide. Peut-il compter sur les hommes qui sont au pouvoir ? Sur qui s'appuiera-t-il ? Il n'y a plus de force armée. Il ne faut pas retourner à Florence pour être dans le cas de revenir une seconde fois à Gaète. Peut-on être tranquille en Toscane tant que Livourne ne sera pas soumis ? Et qui soumettra Livourne ? Je dis qu'il n'y a rien de plus sûr que l'appui d'un parti qui vient d'en renverser un autre. D'ordinaire les partis exagèrent dans leur sens au-delà de ce que ferait un gouvernement régulièrement établi. Il faut d'abord faire acte de présence et de confiance et si les choses ne vont pas, recourir en dernière analyse au moyen extrême qu'on voudrait employer de prime abord. On peut laisser Livourne de côté dont l'action sur la Toscane est usée [ ?]. Livourne peut être l'objet de mesures spéciales. Ce serait en tout cas assez mal récompenser les toscans que de leur donner en échange de leur retour sincère et spontané une invasion et une occupation autrichiennes. Je doute encore que le Grand Duc se laisse aller aux mauvais conseils qu'on lui donne. Il a fait demander ... … au commandant d'un navire américain s'il pouvait compter sur lui. Le navire s'est rendu aussitôt à ... . On le dit chargé d'une mission pour l'île d'Elbe. Peut-être aussi portera-t-il le général Laugier sur ces points dont le Grand Duc veut être assuré. La députation n'arrive pas. Pourquoi ces retards.
Palerme a demandé les bons offices de l'amiral Baudin pour obtenir quelques conditions avant de se soumettre. Le roi nous a répondu que la soumission devait être pure et simple, mais que la Sicile pouvait avoir confiance en lui.  Il nous a témoigné de bonnes, clémentes et généreuses dispositions. Après ce qui s'est passé ... autre mesure était impossible. On peut considérer je crois la guerre de Sicile comme terminée. C'est comme cela qu'on s'enterre sous les ruines du pays !...
Les conférences de Gaète ne battent que d'une aile. On est convenu de rendre au Pape son pouvoir temporel. Mais comment s'y prendre ? Voilà la question. Sur ce point les avis sont très partagés. En attendant que des instructions arrivent des quatre coins de l'Europe on nous parle de réactions dans les Etats romains et il y a sur la frontière dix huit mille Napolitains qui pourraient bien être appelés à jouer un rôle important et décisif auquel je voudrais fort pour ma part que nous nous opposions.
Permettez-moi de vous recommander la lettre ci-jointe qui m'a été remise par Monsieur de B... . Il ignore l'adresse de la destinataire qui est française et dont il a soigné les intérêts à Saint Petersburg.
Je vous renouvelle, mon cher collègue, l'expression de mes sentiments bien dévoués.
A. de Rayneval