Gaète, le 4 juin 1849

Mon Cher Collègue,
Si la ... de Naples me renvoie à moitié déchirée et aux trois quarts brûlée une lettre de vous je vous en remercie à l'avance.
Le Grand Duc ne paraît nullement disposé à abdiquer. On annonce son départ pour Florence dans dix à quinze jours. Il a mis fort peu d'empressement à accepter notre Vauban qu'il a très poliment remercié. Les Autrichiens ne sont pas contents de lui. Il se prête peu, à ce qu'il paraît, à sanctionner leur entrée en Toscane et surtout à Florence. En tout cas c'est son jeu.
Les propositions de Monsieur de Lesseps au gouvernement Mazzinien nous conduisaient droit à la guerre et dans les plus mauvaises conditions. Nous perdions devant Rome tout le temps que les Autrichiens mettaient à se rendre maîtres du littoral entier de l'Adriatique, et comme il est question de la Papauté, nous nous mettions à dos l'Europe entière. J'ai fait de mon mieux dans une entrevue que j'ai eue avec Monsieur de Lesseps pour le convaincre qu'il faisait fausse route et qu'il nous jetait dans des dangers bien autrement grands que ceux dont il prétendait nous tirer. Je ne l'ai pas convaincu. Ici tout cela passait comme de raison pour une reconnaissance formelle de la république Mazzinienne avec alliance offensive et défensive. On nous demandait comment cela allait avec la déclaration de notre ministère et de l'assemblée de ne pas vouloir reconnaître ce gouvernement. Nous répondions que Lesseps agissait sans autorisation. Le fait nous a donné raison. Vous comprenez que son rappel nous tire de la position la plus fausse, la plus pénible où puissent se trouver deux agents, et qu'il lave pleinement notre gouvernement des accusations qui lui étaient faites de toutes parts d'avoir deux langages et deux politiques. J'étais torturé de cette pensée. Aujourd'hui je respire. Les difficultés sont loin d'être aplanies, mais celles qui nous restent sont d'une nature moins grave et n'engagent pas l'honneur du pays.
Je ne pense pas que Rome fasse maintenant une résistance sérieuse. En tout cas, le refus obstiné des Mazziniens d'entrer en arrangement à de pareilles conditions les met complètement dans leur tort. Le général Oudinot était maître le 1er juin du Monte Maria et de l'église Saint Paul, à l'entrée et à la sortie du Tibre.
Nous aurons à Naples un changement de ministère. Il est probable que le Comte Ludolf remplacera le Prince de Cariati. Des élections qui devraient avoir lieu, pas un mot. Tout est calme en Sicile - dix à douze mille Napolitains se dirigent vers les provinces romaines de l'est. Vous savez que quatre mille Espagnols ont débarqué. Ils se dirigent en ce moment sur Terracine. Ils occuperont la partie méridionale de la province de Velletri
Je vous renouvelle, mon cher collègue, l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.
A. de Rayneval