Gaète, le 14 juin 1849

Mon Cher Collègue,
Je mettrais un grand prix à posséder un livre qui a paru à Florence en 1846 ou 1847 et qui traite des institutions des Etats de l'Eglise. Il est écrit par Monsieur Galeotti. Le titre exact m'est inconnu. Si ces indications étaient suffisantes vous serait-il possible de me faire acheter cet ouvrage et de me l'adresser au Consulat de France à Civita Vecchia ? Je vous en serais mille fois reconnaissant. Si le livre allait à Naples il passerait au Lazaret tout le temps que je devrais le mettre à le lire à propos.
Je viens du camp. Le général Oudinot comptait ouvrir son jeu hier ou aujourd'hui. On a procédé méthodiquement. Tranchées, parallèles, chemins en zigzag, rien n'y manque. La résistance peut être fort vive. Peut être aussi manquera-t-elle au dernier moment. Monsieur de Lesseps nous a fait un mal affreux en remontant le moral des Mazziniens et leur donnant à croire qu'ils trouveraient de l'appui à Paris. Ils ont redoublé d'efforts. Les moyens de terreur ont été employés sur une haute échelle. La défense s'organisait pendant que notre armée était condamnée à l'inaction. C'était à s'arracher les cheveux, ce que je n'ai pas manqué de faire tout en m'évertuant à éclairer Lesseps à Rome et notre ministère à Paris. Enfin il est parti et nous avons vu arriver Monsieur de Corcelle animé des intentions les meilleures, les plus sages. Nous n'en sommes je le sais qu'au dénouement du premier acte. Le second du moins sera moins sanglant. L'aspect de Rome de cette ville naguère si calme, si éloignée de l'agitation politique du reste du monde où l'on allait respirer en paix un parfum d'art, d'histoire, d'héroïques souvenirs, aujourd'hui entourée de l'appareil militaire le plus menaçant, résonnant du bruit des canons et des mousquets, m'a navré. Il s'y passe des choses affreuses. On en est aux listes de proscription. Et le dénouement peut être terrible ! Notre armée du moins est admirable d'entrain et d'ardeur. L'état sanitaire est toujours excellent.
Ici rien de bien nouveau. Nous n'obtiendrons pas tout ce que nous voudrions mais nous obtiendrons quelque chose.
Je ne sais rien du Grand Duc qui est retourné à Naples, ainsi que Monsieur Bargagli qui nous donnait de ses nouvelles. Les Autrichiens sont mécontents de lui, ce qui me donne à penser que leurs projets ne sont pas en bonne voie.
Je vous renouvelle, mon cher collègue, l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.
A. de Rayneval