Naples, le 16 septembre 1849

Mon Cher Collègue,
Vous êtes vraiment bien aimable de ne vous être pas laisser rebuter par mon silence. J'ai été occupé au delà du possible. Messieurs de S... et de B... auront pu vous le dire. Je vous remercie mille fois de votre dernière lettre et de la brochure fort intéressante de Monsieur Minghetti que je ferai parvenir à sa destination. J'ai encore à vous remercier de l'ouvrage de Monsieur Galeotti qui m'a été fort utile. J'ai même à vous en rembourser le prix que j'ignore. Ce que vous me dîtes de votre opinion sur les affaires de Rome me paraît complètement cadrer avec les miennes. Lutter de patience, combattre la force d'inertie par la force d'insistance, ne pas nous lasser, ne pas nous laisser rebuter par nos défaites, telle est la voie très possible et très dure où il faut nécessairement entrer. Hors de là nous risquons de nous heurter contre l'inébranlable résistance d'un Pape qui se repose sur sa conscience et sur sa dignité. C'est un pouvoir insaisissable que celui de la papauté : les moyens matériels sont impuissants à l'entamer. Tout autre souverain a besoin pour rester souverain d'exercer sa souveraineté dans ses états. Hors de chez lui il n'est plus qu'un étranger de très grande distinction. Le Pape est Pape à Gaète comme il l'était à Rome, comme il l'est à Portici. Il n'a pas besoin de ses états pour remplir son rôle. Il n'y a donc pas de conditions à imposer.
Maintenant qu'arrivera-t-il de la lettre du Président qui doit être, nous dit-on, publiée à Rome même ? On nous avait menacés, lors de la première tentative, de graves éclats, de partis violents. J'espère qu'il n'en sera pas ainsi et que la colère pontificale se noiera dans l'encre. Nous pressons beaucoup la publication de l'édit qui doit tracer le plan du futur gouvernement, non pas qu'il convienne complètement à notre cabinet, il s'en faut de beaucoup, mais parce que du moins il établira le terrain, donnera aux imaginations une pâture réelle et fera fuir les fantômes. Quelle faute immense de ne s'être pas expliqué plus tôt ? On s'en repend aujourd'hui. J'ai fait de mon mieux pour qu'il en fût autrement. Depuis un mois notamment, mon insistance, celle de mon collègue d'Autriche a été tout ce qu'elle pouvait être. On a marché mais à pas de tortue et l'on a laissé passer le bon moment.
Monsieur de Corcelle est tout à fait rétabli et a repris toute la part qui lui revient dans cette grande affaire. Nous sommes d'un accord merveilleux. Il m'a inspiré en moins de rien la plus profonde estime et le plus grand dévouement. Que n'a-t-on fait toujours de pareils choix !
Je vous renouvelle, mon cher collègue, l'expression de mon sincère et affectueux dévouement.
A. de Rayneval