Naples, le 25 novembre 1849

 

Monsieur,
Lors de son passage à Florence, Jules ... m'a envoyé un autographe du général ... en m'avertissant qu'il m'était adressé de votre part. Permettez-moi de vous remercier, un peu tardivement, de cette obligeante attention qui ajoute beaucoup pour moi au prix de la lettre du baron d’Aspre.  Puissiez-vous, en retour, ne jamais connaître les misères du collectionneur !
Vous connaissez depuis longtemps le refus par lequel Monsieur de Rayneval a répondu à l'offre du portefeuille des affaires étrangères. Sa résolution a été immédiate, et prise sans la moindre hésitation. Si je me réjouis beaucoup à mon point de vue égoïste, d'un parti qui permet à Monsieur de Rayneval de ... je n'en suis pas moins satisfait pour lui-même de le voir éviter les écueils et les traverses de la vie politique à laquelle il est resté étranger jusqu'ici. Et en vérité, il lui était bien difficile d'accepter ; il est absolument étranger à la tribune et à la vie parlementaire. Sa carrière toute entière s'est passée hors de France, loin de la vie de politique intérieure de laquelle doit avoir vécu tout homme qui veut prendre part aux affaires ; c'eut été toute une éducation à commencer, et nous ne vivons pas dans un temps assez calme pour qu'un ministre ait le temps de faire un apprentissage en arrivant au pouvoir. De plus, Monsieur de Rayneval ne connaît, même de vue, aucun des hommes auprès desquels il était appelé à s'asseoir, et leurs antécédents aux uns et aux autres ne sont pas assez éclatants pour qu'à la simple lecture de leurs noms, sans avertissement, sans explication, sans autre avis ou autre nouvelle de Paris que…lignes de dépêche officielle, …. se décider à devenir leur collègue. Il a donc remercié, et j'espère bien le conserver  à Naples, où indépendamment des affaires propres au pays le séjour prolongé du Pape peut rendre sa présence nécessaire. Le départ pour Rome, qui avait été un instant annoncé comme prochain, s'est trouvé ajourné par votre changement de ..... à vue. On a voulu voir venir, et on s'est quelque peu effarouché, au premier abord, de l'envoi du général B. d'Hilliers. On a cru savoir que le commandement, offert d'abord au général Bedeau et au général Oudinot n'a pas été agréé par eux, parce qu'ils mettaient à leur acceptation la candidature du rétablissement … ... du Pape ; or, comme on a vu le général B. d'Hilliers accepter, on a pensé qu'il n'avait pas mis en avant le même scrupule, et on s'est mis en garde. La nature et principes religieux du général a causé aussi quelque appréhension, et si vous saviez, Monsieur, à quel point le plus léger émoi du Saint Père est exploité et développé par un entourage qui nous est radicalement hostile. Bref, on a beaucoup moins parlé de prochain retour à Rome. Maintenant, on a reçu de Paris des renseignements plus satisfaisants. Le Nonce a écrit. Le général d'Hautpoul a fait savoir qu'au moment où il avait dû partir pour Rome, le Président l'avait chargé de dire au Pape que la lettre du 18 août devait être considérée comme non avenue. Enfin, le baromètre remonte. On attend sous peu de jours le général Baraguay d'Hilliers. Le général ... et Monsieur de Corcelle, grandeurs déchues, sont ici depuis avant-hier. Monsieur de Corcelle très philosophe, le général ... non sans quelque regret de quitter Rome. Le Pape les a très bien accueillis l'un et l'autre. L'époque du retour sera vraisemblablement fixée d'accord avec le nouveau général en chef.
A Naples, nous vivons au milieu des ... et des persécutions politiques les moins justifiables dans l'état de paix profonde où est le pays. Monsieur de Custine a été arrêté l'autre jour sur la grande route comme agent révolutionnaire et accusé de ... j'aime mieux le régime des barons d’Aspre.
Veuillez, Monsieur le Ministre, me croire ici tout à votre disposition si je pouvais être bon à quelque chose, et agréer l'assurance de mes sentiments de haute considération.
Charles Baudin