Naples, le 29 décembre 1849

Mon cher collègue,
Je reçois votre lettre du 27 et le statuto qui y était joint. J'ai peine à comprendre le motif de cet envoi. On prétend peut-être nous donner par la lettre de Monsieur Minardi un spécimen de la politique qu'on nous accuse de soutenir ? J'avais remarqué avec peine le ton fort aigre du statuto à l'endroit des affaires de Rome et je ne m'étonne pas que vous vous soyez éloigné des directeurs de ce journal. La sagesse et la modération ont fui ce beau pays d'Italie. Les malheurs même ne laissant après eux aucun enseignement. Vous me demandez ce que l'on fait à Portici ? On hésite, on craint de se décider, on se fait un fantasme de toute chose. A son retour de Bénévent, le Pape annonçait hautement son prochain retour. Les nouvelles du changement de ministère à Paris ont suspendu l'exécution de cet excellent projet. Les adversaires du prompt retour ont regagné le terrain qu'ils avaient perdu, et l'indécision naturelle à la cause de Rome, son esprit d'ajournement à repris le dessus. Que veut-on faire? On n'en sait rien. Pour le moment on dit que l'on veut voir le général Baraguay d'Hilliers que j'attends d'un moment à l'autre, et s'entendre avec lui. J'espère que ce sera chose facile, car aujourd'hui notre principale affaire est de ramener le Pape à Rome. On dit aussi qu'il ne faut pas revenir à Rome les mains vides. D'accord, l'argent est trouvé et sera versé d'ici à trois semaines. Ces deux difficultés levées, je ne vous promets pas que l'on se mette en route : il est probable qu'on en soulèvera d'autres et que l'on fera si bien que l'on perdra une des plus belles occasions de retour que l'on pût attendre de la générosité de la Providence. Il ne faut cependant pas désespérer il y a toujours de la ressource dans le coeur droit et l'esprit juste de Pie IX : mais il nous faudra patienter encore. Les Espagnols se retirent, on est très contarié à Portici. On devrait y voir un avertissement, un motif de se hâter. On songe à solder un corps d'Espagnols qui passerait au service du Saint Père. Je n'ai pas répondu plus tôt à votre avant dernière lettre car j'avais la goutte à la main droite et aux deux jambes. Voilà bientôt un mois que cela dure. C'est au plus fort de la crise que m'est venu la nouvelle de ma nomination au ministère. Je ne connais pas assez mon pays que j'ai à peine habité et je ne me trouve ni l'expérience ni l'autorité suffisantes pour assumer la responsabilité de la direction des affaires extérieures. Tels ont été les considérants de la réponse négative que j'ai faite.
Adieu, mon cher collègue, je vous renouvelle l'expression de mes sentiments d'affectueux dévouement.
A. de Rayneval