Mon Cher Walewski,
Je ne veux pas quitter Gênes sans vous dire encore combien j'ai été satisfait de passer quelques jours avec vous, et combien nous avons été touchés, ma femme et moi, du bon accueil de Madame Walewska. Malheureusement notre séjour à Florence a dû être bien court et notre métier [ ?] de voyageurs consciencieux d'une part, vos devoirs de maître de maison à la veille d'un grand bal de l'autre, nous ont empêché de passer avec vous autant de temps que nous l'aurions désiré. Mais la partie que nous avons faite ensemble à Pise est une de celle dont le souvenir ne s'efface pas et dont nous aurons grand plaisir à parler l'an prochain, quand nous nous reverrons à Paris, si, à cette époque, Paris existe encore. En attendant, je désire fort que le prochain mouvement diplomatique tourne à votre gré, et qu'après votre belle habitation de Florence vous alliez occuper à Naples le palais dont vous m'avez dit un mot. Il est probable que la chose se décidera bientôt, puisque les pouvoirs du général Baraguay d'Hilliers sont au moment d'expirer et que, décidément, le Pape rentre à Rome.
Notre voyage se serait très bien passé si, dès le premier jour, notre fils aîné n'eût pris dans les églises de Pistoie ou de Lucques un gros rhume qui nous a fort troublés. J'ai cru un instant que nous serions obligés de nous arrêter à Carrare ou à La Spezia, ce qui nous était fort pénible. Nous avons pourtant pu continuer notre route et l'enfant ne s'en est pas mal trouvé. Si le temps qui est pluvieux depuis avant hier, n'y met pas obstacle, nous partirons demain pour Nice et dans cinq jours nous rentrerons en France. Autrefois c'eût été avec plaisir, aujourd'hui c'est avec un sentiment très mélangé. Plus j'y pense, plus je me persuade, en effet, que nous sommes à la veille de quelque terrible catastrophe, et les lettres que j'ai trouvées ici, comme celles que j'ai reçues à Florence, me peignent la situation sous les couleurs les plus noires.
Adieu, mon cher Walewski, soyez notre interprète auprès de Madame Walewska pour qui ma femme a pris, dès son premier voyage à Paris, une sincère affection. Veuillez aussi me rappeler au souvenir du Duc de Talleyrand, du Prince Poniatowski, de ... et de vos secrétaire et attaché d'ambassade. Soyez enfin assez bon pour présenter à Madame Ricci mon hommage respectueux et pour la remercier de son bon accueil. Si j'oubliais quelqu'un, je vous prierais de me suppléer. Je ne manquerai pas, de mon côté, de faire à Paris vos amitiés à tous nos amis communs, notamment à Rémusat.
Adieu encore, je vous serre cordialement la main.
Duvergier
Gênes, le 11 avril