Mon Cher Walewski,
Je croyais avoir un compliment à vous faire, et j'attendais pour cela votre arrivée à Paris. Mais Monsieur l'amiral Baudin que j'ai vu avant hier m'a dit que votre nomination à Madrid vous contrariait fort et que vous aviez hésité à l'accepter. Je ne peux donc pas vous féliciter d'un avancement qui est si peu de votre goût, quoiqu'il en soit, mon gendre que vous connaissez, je crois, me prie de vous recommander un de ses amis Monsieur Charles Lacroix qui est aujourd'hui attaché au consulat de Cadix. Monsieur Charles Lacroix avait obtenu de Monsieur Adophe Barrot la promesse d'être nommé attaché non payé à l'ambassade de Madrid, si Monsieur Adolphe Barrot, comme il l'a espéré, avait reçu cette destination. S'il vous  était possible de faire pour lui ce que Monsieur Adolphe Barrot lui avait promis, nous vous serions obligés, mon gendre et moi. Monsieur Charles Lacroix habite l'Espagne depuis deux ans et, de plus, ce qui n'est pas indifférent, il a quinze ou vingt mille francs de revenus. D'après ce que l'on m'a dit de lui, il ferait honneur à votre ambassade.
Nous avons su en même temps la maladie grave et le rétablissement de Madame Walewska. Nous n'avons pas non plus à nous louer beaucoup de la saison. Aussi depuis notre arrivée à Paris, ma femme n'a guère cessé d'être souffrante, et nos enfants ont été pris deux fois de la grippe. Encore si les affaires publiques se portaient mieux que nous, ce serait une compensation. Mais nous savons où nous en sommes et combien l'horizon politique est sombre. Nous ne serions probablement pas d'accord sur la part qu'il convient de faire à chacun des deux pouvoirs dans la crise actuelle. Ce qui est incontestable c'est que, par la faute des uns ou des autres, la rupture existe et qu'il y a bien peu de chance d'y remédier. Au mois de juin nous allons faire en commun un effort pour arriver légalement à la révision de la constitution ; mais il est très probable que cette solution la seule bonne, la seule pacifique, selon moi, ne pourra pas prévaloir. C'est alors que commenceront les grandes aventures.
Adieu, mon cher Walewski, présentez à Madame Walewska mon hommage respectueux et les compliments bien affectueux de ma femme tout à vous sincèrement.
Tout à vous sincèrement
Duvergier
Paris, 15 mars