[En tête : Consulat général de France à Beyrouth]
Beyrouth, le 5 janvier 1860

Mon Cher Alexandre,
J'ai bien cherché quelque formule nouvelle pour vous exprimer mes vœux de bonne année mais n'ayant rien trouvé qui rende nettement et chaleureusement mes sentiments, j'ai pensé que sans trop faire attention à la forme vous accepteriez sous l'ancienne rubrique mes souhaits les plus vifs. Prenez les mon cher dans toute leur simplicité et surtout dans toute leur sincérité. Je n'ai jamais su chercher des effets dans les combinaisons mélodieuses des belles phrases, c'est assurément un défaut d'imagination, mais non un défaut de sentiment, d'affection et de dévouement. Je vous aime mon cher Alexandre d'une affection vive et profonde basée sur l'estime et une grande reconnaissance, vous le savez et je n'ai donc pas besoin de faire les belles phrases qui m'embarrassent cruellement pour vous le prouver.
Soyez heureux comme vous le méritez et le reflet de ce bonheur me rendra heureux moi-même.
Mes lettres deviennent de plus en plus rares, depuis près de deux mois je n'ai pas donné signe de vie ni officiellement ni particulièrement. Pour savoir ce qui se passe à Beyrouth l'on en est réduit aux conjectures. Que faut-il penser de ce silence ? Rien mon cher, c'est qu'il ne s'y passe rien en réalité qui vaille la peine d'être raconté. Grâce aux bons rapports qui existent entre les autorités et mes collègues et moi les affaires se terminent sans bruit et pour le bien des chrétiens de la montagne ; les solutions sont faciles car l'entente règne complètement au moins pour le moment.
Je prépare un grand rapport sur le Liban et un sur la situation commerciale du pays. La nouvelle route de Beyrouth à Damas de laquelle je suis un fort actionnaire formera aussi un grand sujet de dépêche qui intéressera peut-être la Direction Commerciale.
Adieu mon cher Alexandre, veuillez m'envoyer les instructions relativement au Comte de Paris et au Duc de Chartres qui doivent arriver prochainement.
Je vous embrasse tous et je voudrais bien le faire en réalité et tout à vous de cœur.

St. Bentivoglio