Anvers, le 30 janvier 1860

Mon Cher Comte,
C'est au commencement de la semaine derrière que j'ai su par une lettre d'Herbet, Herbet qui s'occupe de tout et qui sait tout, comme le solitaire ; que j'ai su dis-je que vous aviez voulu, avant de quitter le ministère, me donner le bâton de Maréchal à Londres. Permettez-moi de dire que je connais si bien votre bonne amitié pour moi que cette nouvelle ne pas étonné. J'ai cependant voulu en avoir la confirmation authentique avant de vous exprimer toute ma reconnaissance. Hier seulement une réponse de Marchand a confirmé le rapport d'Herbet et m'a appris que si je n'avais pas été nommé à Londres, c'est que Lesseps vous avait fait comprendre qu'exposé, comme je l'aurais été indubitablement, aux attaques de Monsieur Fleury, je n'avais pas grande chance de conserver longtemps le poste. La vie d'Anvers est si cruellement ennuyeuse que je n'eusse pas hésité à accepter le changement pour un an, même pour six mois, s'il ne s'était agit que de mes intérêts seuls. Mais eussé-je été consulté, j'aurai aussi fait la part des intérêts de Monsieur Gaillard de Ferry, un camarade, un vieux serviteur du département, sans fortune, et chargé je crois d'une nombreuse famille, et je vous aurais exactement répondu ce que Lesseps vous a répondu en mon nom. La perspective de quitter le poste de Londres au bout de six mois pour faire place à mon collègue de Barcelone, ne vaut certes pas la peine de me donner les apparences d'un mauvais procédé envers un collègue méritant. D'ailleurs aurais-je pu faire longtemps bon ménage avec Monsieur de P... qui connaît sans doute l'amitié que vous avez pour moi ? Que le sang de Monsieur Gaillard retombe sur la tête de son successeur, pour moi je m'en lave les mains ! J'espère qu'un des premiers soins de Monsieur Fleury en arrivant à un traitement de quarante mille sera de rendre à Charles [...] les deux mille francs qu'il lui doit depuis 49.
Ceci vous a expliqué suffisamment j'espère le silence que j'ai gardé à ma dernière visite, et pourquoi je ne vous ai pas remercié comme j'aurai dû le faire de la nouvelle preuve d'affection que vous aviez voulu me donner. En vous envoyant aujourd'hui l'expression de ma reconnaissance je ne saurais oublier de vous parler des sentiments que vous conserve mon brave ami M[...]. Il y a quelques jours que j'ai reçu de lui une lettre pleine de cœur où il me chargeait de vous dire qu'il n'oublierait jamais tout ce que vous avez fait pour lui. Quoique je l'aie engagé à vous écrire, je ne veux pas perdre cette opportunité de vous traduire les sentiments d'un homme sincèrement reconnaissant de vos bontés.
Anvers est d'une gaîté folle : les dîners de trois heures et les whists à [...] sont à l'ordre du jour. Mais de sport point !!! J'ai chassé une fois, une seule pauvre petite fois depuis mon retour de Bois Boudran le 24 novembre !! Aussi je ne saurais vous cacher qu'il me passe et souvent par la tête des idées vertigineuses de disponibilité. [...] Diable on ne vit qu'une fois.
Pourquoi ne pas vivre à sa guise lorsque bonne déesse fortune vous en a donné les moyens ! Les affaires de l'Inde marchent in the most safisfactory manners et la dernière malle m'a apporté un si joli dividende que je suis décidé, crève l'avarice, à faire en avril le voyage de Madrid, si l'on n'envoie pas, comme l'Indépendance m'en menace, l'excellent Monsieur Barrot à Constantinople.
Veuillez présenter mes hommages à Madame Walewska, mes souvenirs aux enfants.
A vous et dévoué.
            [...] Valbezen