Beyrouth, le 21 décembre 1860

Bentivoglio à Walewski

Mon Cher Alexandre,

Deux mots seulement pour vous féliciter sur votre nouvelle position non pour la surabondance d'honneurs qu'elle entraine avec elle, mais parce qu'il me souvient que vous désiriez cette place depuis longtemps. Je joins à mes félicitatations, mes souhaits les plus vifs et les plus sincères pour la nouvelle année ceux-là sont d'un genre plus intime et partent du plus profond de mon coeur comme vous le savez bien, sans avoir besoin de m'appesantir sur ce sujet.

Quant à moi je pense avoir rempli une partie de la mission de charité qui m'avait été confiée par Monsieur Thouvenel avec tout le zèle et toute l'intelligence dont je puis être susceptible. Le gouvernement avait mis à ma disposition une somme de 300 000 francs provenant des aumônes de la France. Monsieur Thouvenel m'a nommé Président du comité de secours à Beyrouth et j'ai tâché de faire de mon mieux. J'arrive d'une énorme tournée que j'ai fait dans la montagne et qui a duré six semaines. J'ai institué des sous-comités dans les principales localités et l'effet produit par ce voyage a été du plus heureux résultat pour l'influence de la France dans ces malheureuses contrées.

Quant à la question syrienne elle est dans un état de stagnation déplorable. Vraiment je n'ose en parler, mais de vous à moi les affaires ne marchent pas. La commission ne fait presque rien, Fuad Pacha est trop habile pour ces messieurs. L'occupation est réduite à l'inaction, mais elle est indispensable, sans elle point de salut. Les turcs brodent sur le tout et poursuivent avec un acharnement déplorable l'oeuvre de destruction de désorganisation et de persécution si bien commencée au mois de mai.

J'ai en outre reçu par Schefer des nouvelles de Paris et des nouvelles du ministère des affaires étrangères on lui parle de mon changement. Je vous prie mon  cher de ne pas permettre cette permutation avant le printemps. Cela serait très nuisible à mes intérêts matériels, si une nomination  m'arrivait comme une bombe. Veuillez je vous prie au moins me faire connaître les intentions du Département à mon égard ; je suis dans les transes. Vous avez été toujours si bon pour moi que vous voudrez bien ne pas m'abandonner à présent.

Adieu je vous embrasse très à la hâte et croyez à mes sentiments les plus sincères et les plus dévoués.