Saint Pétersbourg, le 8 janvier 1861

 

Mon Cher Comte,

J'ai vu avec un bien vif plaisir l'Empereur vous appeler au ministère d'Etat. Pour moi et malgré mes excellentes relations avec Thouvenel le Ministère des Affaires Etrangères aurait mieux valu ; mais pour vous je dois préférer votre situation actuelle. Permettez-moi donc de vous en féliciter de tout mon coeur. Vous savez que personne ne fait pour votre bonheur des voeux plus sincères que moi. Je ... que je vous exprime d'une manière un peu banale un sentiment que vous me connaissez depuis lontemps. Mais vous m'excuserez en faveur du jour de l'an.

J'irai probablement vous voir l'été prochain, si l'Empereur me le permet. Je sens le besoin de respirer l'air du bureau. Les choses marchent si vite que je ne suis plus suffisamment au courant. Un quart d'heure de conversation avec l'Empereur porterait la lumière au milieu de mes obscurités.

Je vous avoue que quelque fois notre politique m'inquiète, sans doute parce que je ne la comprend pas assez.

J'ai une grande confiance dans l'Empereur, mais si je vous disais de marcher dans les ténèbres, en vous assurant qu'il n'y a pas d'obstacle contre lequel vous puissiez vous heurter, malgré votre confiance en moi, y marcheriez-vous d'un pas bien assuré. Telle est ma situation, je le sens. Jusqu'ici elle n'a pas nuit à nos affaires, j'ai toujours ici présenté les choses conformément à mes instructions, et j'ai cru que c'était bien entendre le dévouement que de dire à Paris ma pensée tout entière bonne ou mauvaise. Grâce à l'intérêt bien senti qu'a le cabinet russe à s'attacher à nous, j'ai réussi à maintenir nos relations intimes malgré des dissentiments de principe qui ont quelque fois menacé de devenir sérieux.

Ainsi, j'ai pensé qu'il pourraît être dangereux de laisser aller l'Empereur Alexandre à Varsovie sans donner un terrain ferme à ces dispositions alors un peu chancelantes à notre égard. L'Empereur a  bien voulu approuver cet ordre d'idées. Mais, je vous le répète, quelques mois à Paris me seront bien nécessaires l'été prochain. Vous voyez mon cher ministre que je continue mes anciennes habitudes d'abandon avec vous ; je ne veux pas cependant en abuser. Rappelez-moi je vous prie au bon souvenir de Madame Walewska et comptez toujours sur ma vieille amitié. Tout à vous.