Bentivoglio à Walewski

Beyrouth le 4 juillet 1861

 

Mon Cher Alexandre,

J'ai reçu votre bonne lettre et je suis très heureux et vous remercie de ce qu'elle renferme à mon égard.

Mais j'en reviens toujours à mes moutons et je serais très heureux de rester à Beyrouth encore un an ou dix huit mois avec le titre de consul général. C'est même je pense l'intérêt du gouvernement car un consul nouveau qui viendrait ici dans ce moment de transition risquerait fort de casser les reins à notre influence.

Je ne dirai pas à Monsieur Thouvenel comme Monsieur His de Butenval à Monsieur Drouyn de Lhuys en lui parlant du Piémont et tenant sa main droite fermée "Monsieur le Ministre je l'ai là je le tiens je vous l'apporte" mais quoi ? demandait Monsieur Drouyn de Lhuys. "Le Piémont Monsieur le Ministre!!!". Non je ne dirai pas cela du Liban mais ces deux dernières années m'ont donné une si complète connaissance des hommes et de ce pays, le bien que j'y ai fait aux moyens des secours envoyés par la France m'a fait acquérir une popularité qu'il sera bon d'utiliser actuellement.

Le changement qui va avoir lieu en Syrie peut être fatal ou favorable à la conservation de notre influence selon l'attitude et la manière d'agir des agents. Le gouvernement est un peu fatigué des affaires de Syrie il veut les laisser reposer c'est bon, mais il ne faut pas perdre du terrain. L'Empereur aura besoin de ce pays à un moment donné et ce moment viendra. L'on peut conserver une position avantageuse sans provoquer des affaires et sans donner de l'ombrage. Depuis la Mésopotamie jusqu'à Bagdad j'ai des relations avec les chefs bédouins je dois cela à mon séjour à Alep et à mes fréquents voyages à l'intérieur ; ceci est bon et peut encore être utile. Que le gouvernement me donne des instructions secrètes ou officielles et je puis répondre sans me vanter qu'elles seront exécutées.

J'aurai besoin d'un collègue de mes amis et intelligent à Bagdad ; Monsieur Outrey de Damas serait parfait. Pour Beyrouth il sera sans doute facile de trouver un agent plus habile que moi mais il lui faudra deux ans de peine et de courses comme celle que j'ai fait pour connaître les individus ; enfin il devra tatonner, s'informer et la position sera gâtée.

En Orient les hommes sont méfiants et craintifs ; ce qu'ils me disent à moi leur ancienne connaissance depuis cinq ans ils n'iront assurément pas le confier au premier venu même s'il est consul de France.

Enfin mon cher Alexandre la position est délicate, intéressante et même difficile. J'ai la prétention de m'en tirer à l'avantage du gouvernement de l'Empereur et je sacrifierai même mon avancement pour m'occuper actuellement de cette question. Il m'est impossible de raconter cela dans mes dépêches à Monsieur Thouvenel, mais réellement je serais très heureux de rester ici.

Adieu je vous embrasse toujours votre bien dévoué.