Le Ministre de France en Chine au Ministre des Affaires Etrangères

Dir politique n° 110

Pékin, le 8 septembre 1861

 

Mr le Ministre, je viens de recevoir et m’empresse de transmettre ci-joint à V.E., en copie, la lettre de Mr le Comte d’Eulenburg en date du 3 courant. Le plénipotentiaire prussien m’y annonce que le traité entre la Chine et la Prusse venait d’être signé la veille, et il me remercie du concours actif et efficace que cette légation lui a prêté pour l’accomplissement de sa difficile mission. V.E. me permettra de me féliciter d’autant plus d’avoir obtenu ce résultat que, si je ne m’abuse, il donne satisfaction à la fois à tous les intérêts et à toutes les parties.

La Prusse, absente diplomatiquement de Pékin pendant encore environ six ans n’apportera pas son concours, de puissance protestante et saxonne, à l’Angleterre dans la rivalité, si l’on peut dire ainsi, déjà prépondérante du côté de celle-ci vis à vis de notre propre influence latine et catholique, à une époque surtout où il s’agira pour nous d’en élaborer le plus solidement possible les fondements ; et de cette manière les chances de la lutte politique inévitablement engagée, entre les alliés de l’année dernière par rapport à la Chine, seront égalisées d’autant.

L’assistance empressée et l’appui aussi cordial qu’efficace que je n’ai cessé de prêter au Prince de Kong et au Ministre Wenn-Siang pendant toute la négociation de ce même traité, leur a fait connaître de quelle véritable utilité pouvait être à la Chine l’amitié de la France, car ils ont eu la preuve que, fidèle à la parole que je leur avais donnée, cette légation n’avait épargné aucune peine, aucun sacrifice même (en se privant, tour à tour, pendant plus d’un mois respectivement, de son seul secrétaire et de son unique interprète), pour amener un résultat conforme à ce qui, dans leur opinion, était avantageux à la Chine et flatteur pour la Dynastie Régnante.

Quant à ce qui regarde la Prusse, la lettre du Comte d’Eulenburg me dispense, Mr le Ministre, de tout commentaire pour faire ressortir le véritable service que le gouvernement de l’Empereur a été à même de lui rendre et lui a effectivement rendu dans cette circonstance. La correspondance de Mr le Comte d’Eulenburg que j’ai eu l’honneur de communiquer à V.E., jointe à cette dernière lettre, témoigne, en effet, je crois, que le voyage en Chine du Plénipotentiaire de Prusse n’aurait eu absolument aucun résultat, si en dépit de tous les obstacles, dont les prétentions tant soit peu exagérées au premier abord du Comte d‘Eulenburg lui-même, n’étaient pas le moindre, cette légation ne s’était en quelque sorte obstinée à l’aider dans sa difficile tâche et à lui faire obtenir, en définitive, un résultat pour ainsi dire inespéré.

V.E. voudra bien voir par ce qui précède que, quelques causes que j’aie d’être profondément fatigué et plus encore découragé, je ne néglige absolument rien de ce qui est en mon pouvoir pour remplir de mon mieux jusqu’au bout la tâche si laborieuse et si ardue que le gouvernement de l’Empereur a daigné laisser confiée à mes soins.

Veuillez agréer, Mr le Ministre, les assurances de ma très haute considération.

(Signé) A. Bourboulon