Paris le 29 7bre 1861

 

 

Mon cher Comte,

Je vois par les journaux que vous êtes rentré à Paris, et que leurs Majestés y arrivent ce soir.

Mon congé expire demain et je devrai aussi rallier le drapeau mais j'ai prié le Maréchal Vaillant mon intérimaire de me donner jusqu'à jeudi parce que j'ai à terminer ici quelques affaires d'intérêt de famille. Je suppose de grand cœur que vous revenez ainsi que Madame la Comtesse Walewska avec une bonne provision de repos et de santé. Sans nul doute vous aviez à vous occuper à Biarritz de la centralisation des affaires mais enfin ce n'était pas Paris avec la vie absorbante. C'était un demi loisir une demi solitude la mer, le soleil et plus de liberté de soi même.

On dit que l'Impératrice s'est très bien trouvée de son séjour là-bas, et que l'Empereur se porte à merveille. Dieu soit loué car le chariot de l'Etat est lourd et ceux qui le mènent ont besoin de toutes leurs forces. J'ai pour mon compte vécu ici à l'état d'huître baillant au soleil. Au fond de nos campagnes normandes dans un pays de ... et de bon... on n'a guère l'esprit ni aux impatiences ni aux curiosités politiques; On tient au sol, à l'industrie au commerce; on s'en occupe activement on a confiance dans l'Empereur, et on se prend peu aux excitations quelles qu'elles soient .

Cependant s'il n'y a pas d'émotion il y a d'assez graves incertitudes commerciales. Le coton est très cher à cause de la crise américaine si on fabrique encore avec le stock qui existait on ne vend plus et il est clair que bientôt la filature et la fabrique seront obligées d'e... or cela produira une notable diminution de travail et de salaire pour la classe ouvrière très nombreuse ici et cela aussi tombera malheureusement dans un moment de cherté du pain cette fatale crise américaine vient malencontreusement se jeter à travers de l'application de notre nouveau régime douanier. Aussi il y a ici dans l'industrie une grande hésitation elle arrête le mouvement des associations et des entreprises de construction et d'outillage . On tâtonne devant l'inconnu de l'avenir lorsqu'il y a trois mois on paraissait décidé à en mettre toutes les chances pour soi en réalisant bravement par des dépenses toutes les améliorations nécessaires.

J'ignore ce qui se passe dans les autres contrées du Nord, mais je crois qu'il importe de voir juste et vrai. Les deux systèmes commerciaux qui se sont battus avec tant d'acharnement aiment à se faire illusion. L'un dit que tout est perdu, l'autre voit tout magnifique et progressant à mon sens et j'en ai causé avec les industriels les plus sages, et les plus expérimentés, il y a une crise plus ou moins grave à traverser aujourd'hui crise accidentelle sans nul doute, mais qu'il ne faut pas dédaigner ou nier. Elle tient à la fois à un changement de régime, pour lequel notre industrie ne s'est pas préparée assez vite, dans lequel les Anglais aussi embarrassés que nous à cause de leurs produits à écouler, nous feront rude guerre. Elle tient enfin à des circonstances passagères mais sérieuses d'où je conclus que le gouvernement de l'Empereur fera acte de sagesse en se ménageant les moyens pour cet hiver de créer du travail supplémentaire dans les départements qui pourrissent.

Quant à nos affaires religieuses il est incontestable que l'on a parfaitement agi, en laissant les coalitions du clergé, avec les partis hostiles s'épuiser assez librement dans des efforts qui en ont constaté l'impuissance.

Un régime de compression absolue aurait trop ressemblé à la persécution et il a suffi pour l'instruction de tout le monde que le pays un peu ému de tout cela prononçât son jugement. or le pays est religieux dans le sens de la religion respectée mais pas dans le sens de la religion dominatrice.

Il y a eu réaction vigoureuse de l'esprit public contre les prétentions excessives et les agitations mauvaises. aussi le clergé qui pêche plus par préjugé par ignorance des choses politiques que par ses intentions s'est aperçu de la faute.

Je parle de la grande majorité et du clergé séculier. Il revient il ne veut pas se séparer de l'Empereur ni du pays au milieu duquel il vit, donc restons chez nous comme nos pères. qu'on ne nous accuse pas de déserter révolutionnairement la religion. Là est notre force et notre honnêteté mais veillons repoussons avec calme et fermeté les empiètements faisons voir que nous avons le droit et la raison et le temps aidant l'Empereur aura résolu la plus grosse difficulté du ..;

Il est venu jusqu'à mon petit ermitage le bruit de modifications ministérielles.

C'est mon moindre souci. Que la volonté de l'Empereur se fasse pour le bien de l'Etat. C'est son affaire et un peu la vôtre et que chacun de nos collègues n'ait ni souffrance ni dommage voilà ce que je souhaite.

A bientôt donc mon cher Comte et permettez moi en attendant de vous envoyer l'expression bien cordiale de mes sentiments les plus dévoués.