Paris, le 5 octobre 1862

 

Mon cher Comte,

Je vous remercie de votre bonne lettre. Sans elle, je serais arrivé ce matin à Paris, supposant que l'Empereur revenait le 4 à Saint Cloud. Mais J'ai trouvé votre nouvelle excellente et j'en ai profité en ajournant mon retour à mercredi prochain. Le conseil ne peut être que jeudi au plus tôt . Je serai donc parfaitement à mon poste, et j'espère vous voir mercredi dans l'après midi, pour vous serrer la main et prendre langue.

Je ne doute pas, mon cher Comte, et je vous en remercie très sincèrement, que vous n'ayez représenté à l'Empereur les nécessités et le droit du ministère de l'Instruction Publique et des Cultes à conserver un organe spécial dans le Conseil d'Etat. Mais je me suis reproché de n'avoir pas prévu la candidature de Monsieur Pététin qui, jadis, m'avait tant parlé de ses véllélités du Conseil d'Etat (service ordinaire) en compensation de sa préfecture perdue, et qui voulait absolument honoris causa, que le service de l'imprimerie impériale devint une direction générale. On lui a refusé cette dernière satisfaction, et le bon homme à qui il faut un habit brodé d'or, s'est mis en chasse d'une place de conseiller hors section. Et l'Empereur, qui est très bon, a promis. Et promesse d'Empereur ne peut être vaine. Ce qui me console, puisque je pourrai, vous aidant, rappeler à S.M. qu'elle a compris la nécessité d'une création. En réalité, la création est pour Monsieur Pététin, qui doit être nommé conseiller hors section, grâce à une vacance, mais sans remplacer expressément personne. C'est une addition au nombre des conseillers d'état. Mais ce service et le droit traditionnel du ministère restent. Au retour de l'Empereur, et à loisir, je vous supplierai donc de me venir en aide dans ma juste demande.

Je suis, je vous l'avoue, presque effrayé de ce formidable problème de l'Italie et de Rome, à mesure que le moment de le résoudre approche. Les solutions assez facilement acceptées dans mon esprit, quant il s'agissait du pur raisonnement, me semblent hérissées d'obstacles quand il s'agit de se mettre à l'oeuvre. Je regrette vivement que nous n'ayons pas plus fermement tenu le drapeau des libertés et traditions intérieures françaises. Cela eut donné une force réelle aux hommes modérés ne voulant rien décider brusquement par la question du pouvoir temporel à Rome. La France, à mon sens, a  commis cette faute. Le pays en  général, dans les masses, dans le plus grand nombre enfin est peu touché des torts ou des prétentions excessives de l'Italie. La question de ce côté est exclusivement romaine. Pourquoi ? C'est que nos bourgeois et nos campagnards et nos travailleurs (suffrage universel) ne sont pas en contact avec l'Italie, les journaux, les hommes d'état. Mais ils sont en contact perpétuel avec les prédications et les actes de la partie de notre clergé qui s'est fait ultramontaine. Là est l'irritation est la réaction, en sorte que le plus grand nombre, en France, ne voit que le Pape, les prétentions du Pape, l'obstination du Pape, et le cauchemar de la domination cléricale.

Suivant moi, il fallait, en pratique, nettement séparer les questions. Et dire "nous ne voulons pas livrer Rome à la révolution, parce que la révolution n'a pas seulement des calculs politiques, elle a des instincts antireligieux, et veut jeter bas le catholicisme. Mais nous n'entendons pas plus que nos pères donner à l'élément catholique dont nous défendons si loyalement l'indépendance spirituelle et la conservation, la supprématie générale dans l'état et nous ne voulons pas des prétentions théocratiques de Rome. En agissant ainsi, on eut rassuré et satisfait le fond du pays et on eut acquis d'autant plus de force contre la  révolution voulant anéantir. Maintenant que faire ? Franchement je ne sais trop pour mon compte, et j'adopte votre formule, nous devons être dans le meilleur des mondes, puisque Dieu l'a fait. Mais qui vivra verra. Seulement, tenez pour certain qu'une nouvelle année de doute et d'expectation est impossible.

A bientôt mon cher Comte, et veuillez agréer l'expression de mes sentiments dévoués.