Rome, le 18 octobre 1862

Le Général de Montebello, Commandant la division d'occupation à Rome

Mon Cher Ami,

Monsieur ... veut bien se charger de vous porter cette lettre, et de vous donner de nos nouvelles. Je profite de son obligeance pour vous dire que Jean va de mieux en mieux. Cependant il ne reprend pas de force et n'a pas encore d'appétit. Les médecins ont jugé qu'un changement d'air était indispensable et aujourd'hui même, je vais l'installer avec sa mère à Albano, où il restera tant que le temps le permettra. J'ai été moi-même à Albano il y a quelques jours, chercher une maison, et j'ai pu juger de la différence de l'air de cette localité avec celui de Rome.J'ai donc grandes espérances de le voir rétabli promptement. Nous avons depuis hier la grande nouvelle du changement du ministre des affaires étrangères. Je n'ai encore vu personne d'ici. Mais je suis sûr qu'on est enchanté. On parle de la Tour d'Auvergne comme ambassadeur. Ce me semble un très bon choix. Je suis allé il y a quelques jours, faire une visite au Pape à Castel Gandolfo, ainsi que c'est l'usage. J'ai reçu le meilleur accueil, et le Pape m'a gardé fort longtemps. Il m'a longuement parlé de la situation de l'avenir, de la combinaison dont je vous ai rendu compte l'autre jour, des difficultés de l'application, etc etc. En résumé cette longue conversation m'a confirmé dans l'opinion qu'on subira ce que l'Empereur d'accord avec les principales puissances de l'Europe voudra imposer et qu'on sera bien aise même de subir en fermant au fond du coeur les espérances ou les illusions qu'on attend toujours de l'avenir. La question la plus difficile sera la question de l'argent. Mais après des façons on se laissera faire une douce violence. Avec le nouveau ministre s'entameront sans doute des nouvelles négociations. Les données que je vous indique pourront peut-être avoir quelque utilité. Méfiez-vous de ce que vous dira Monsieur D. qui n'a pas pu en une audience de quelques minutes juger le Saint Père et s'en est fait je crois une très fausse idée. Il en est de même pour les hommes et pour les choses qu'il a vus. Il faut du temps ici pour tout apprécier à sa juste valeur. Je vous ai dit que le Pape m'avait fait le meilleur accueil. Il en a été de même de tout son entourage avec qui j'ai diné à Castel Gandolfo. Les prélats qui passent pour les plus grands ennemis de la France, tel que Monseigneur Borromée, m'ont fait les plus grandes avances. Vous voyez mon cher ami que je suis en odeur de sainteté. Cela ne m'empêche pas d'être toujours sur mes gardes et d'avoir à lutter contre des petites taquineries qu'on traite comme on traite les affaires, sans passion, sans rancune, mais avec cette fermeté dont il ne faut jamais se départir ici, sous peine d'être bien vite débordé. En somme ma situation est aussi bonne que possible et je suis princièrement entretenu. J'attends avec impatience le complément des modifications ministérielles et je trouve qu'on traite un peu légèrement le chargé d'affaires et moi en nous faisant rien savoir par le télégraphe.

Nous avons l'air un peu bête en apprenant par d'autres ce qui nous intéresse plus que qui que ce soit, à ce qui se passe dans notre propre pays. Je vous remercie de la bonne et aimable lettre que vous m'avez écrite en terminant votre interim. Je suis bien aise que vous ayez trouvé de l'intérêt dans ma conversation avec le Pape et je le sentais si bien que je vous ai envoyé une double expédition dans la crainte que le retour du Maréchal ne l'empêcha d'arriver jusqu'à vous.

Au revoir mon cher ami, mille tendresses de notre part à tous à votre chère femme. Aussitôt que Jean pourra écrire il répondra à la charmante lettre de Charles.