Paris, 80 rue de l'Université

Le 20 juillet 1863

 

Particulière

Monsieur le comte,

Permettez-moi de vous renouveler la requête relative à la décoration de la légion d'honneur, dont j'ai déjà pris la liberté de vous entretenir il y a quelques semaines, à Fontainebleau, et que vous avez eu la bonté d'accueillir avec bienveillance.

Je sais de source certaine, Monsieur le Comte, que, lorsque je suis venu à Paris, en courrier, au mois de décembre dernier, le Baron d'André a bien voulu, dans les termes les plus obligeants, mettre mon nom au nombre de deux qu'il recommandait à Monsieur Drouyn de Lhuys pour la croix de chevalier de la légion d'honneur.

Malheureusement pour moi, le ministère des affaires étrangères ne fut pas compris dans la distribution que la grande chancellerie fit au 1er janvier, et actuellement j'ignore et si mon nom sera maintenu sur la liste qui sera soumise à l'approbation de sa majesté, et si, comme je manque de protection, on voudra bien prendre en considération mes titres d'ailleurs bien modestes.

Je vous serais donc profondément reconnaissant, Monsieur le Comte, de daigner vous intéresser à moi en cette circonstance, et de consentir à dire quelques mots en ma faveur soit à l'Empereur, soit à l'Impératrice soit à Monsieur Drouyn de Lhuys.

Pour que je réussisse, il est absolument nécessaire que l'initiative vienne d'en haut ! cette initiative vous seul, qui avez toujours été bienveillant pour moi, pouvez la provoquer. Les directeurs ont leur protégés et je n'en suis pas. Cependant, vous trouverez comme moi, Monsieur le Comte, que l'ancienneté n'est pas un titre unique à la faveur de Sa Majesté et vous savez que je n'ai, depuis mon entrée au service diplomatique, négligé aucun effort pour servir avec zèle, conscience et dévouement le gouvernement impérial, vous savez également que tous mes chefs, sans excepter un seul, n'ont pas manqué de rendre sur mon compte les témoignages les plus satisfaisants. J'ai donc la confiance que, si une  voix comme la vôtre daignait, en présence de l'Empereur, s'élever en ma faveur sa Majesté ne refuserait pas de m'accorder la précieuse récompense que je sollicite et qui serait pour moi un si puissant encouragement.

J'ai l'honneur, Monsieur le Comte, d'être connu de vous depuis ma plus tendre enfance, votre intervention active, en cette circonstance, ne saurait donc surprendre personne et ce qui serait refusé peut-être, par leurs majestés, à mes faibles efforts, sera accordé à l'intérêt que vous voudriez bien me porter.

En prenant congé du ministre il y a quelques jours, son excellence a eu spontanément la bonne grâce de "m'assurer de sa sympathie, de l'empressement qu'elle mettrait à saisir la première occasion qui se présentera de m'être agréable !  etc etc " Je n'ai pas osé insister, mais d'après cela il m'est facile de conclure que les dispositions de Monsieur Drouyn de Lhuys sont bonnes. Monsieur d'André m'a répété encore hier, que, s'il y avait eu des promotions dans la légion d'honneur au 1er janvier, j'aurais sans aucun doute été au nombre des élus. - mais pour le 15 août l'influence des directeurs est à redouter et malgré que, par l'entremise de Monsieur de Billing, j'ai sollicité la neutralité du marquis de Bonneville, je crains que ma nomination ne rencontre en lui un adversaire dangereux.

Je ne vous dissimule pas ces faits, Monsieur le Comte, afin que vous sachiez si vraiment vous voulez bien livrer bataille en ma faveur, ainsi que vous avez eu la bonté de me le laisser espérer, que l'attaque doit être d'autant plus vigoureuse que la résistance sera grande et acharnée. J'ai tout lieu de penser que tout esprit de malveillance à mon égard de la part du ministère est étranger à cette situation qui n'a rien de très consolant pour moi. Elle provient de ce que ces M. M. ont leurs protégés et n'en est pas qui veut !

Faîtes-moi la grâce d'excuser cette démarche, Monsieur le Comte, laissez-moi en attendre un heureux résultat et veuillez agréer, l'hommage de mon constant et respectueux attachement.