Omonville près de Dieppe 28 sept 1863

 

Mon cher Comte,

J'ignore encore si je viendrai à Paris et de là à Etiolles avant la fin d'Octobre.

Je .........mais tenez pour certain que j'aurai un bien grand plaisir à aller vous serrer la main.

Peut-être en effet irai-je à Paris dans quelques jours mon fils devant continuer le voyage jusqu'au Puy.

Il me revient ici mais bien affaiblis certains bruits qui ne m'étonnent guère.
je ne crois pas en effet que l'Empereur qui connaît et estime votre loyal dévouement et votre fidélité d'actes et d'idées veuille se passer longtemps des services de ses véritables amis.

En ceci ceux qui vous aiment à leur tour n'ont point à vous donner de conseils, qui peut-être ne seraient pas suffisamment désintéressés.

Faites ce que votre conscience et votre raison vous suggéreront,. Vous savez que j'ai en pareille ... une foi qui n'est pas celle de tout le monde.

Je ne pense pas qu'il faille absolument et toujours subordonner toutes nos résolutions à une formule personnelle.

On s'use assez inutilement à ces luttes d'hommes ou de coteries dans lesquelles chacun monte et descend tour à tour comme les deux seaux d'un puit.

Assurément je ne nie en rien la légitimité des impressions bonnes ou mauvaises que les hommes .....ont entre eux, et jamais je ne comprendrai qu'on mette l'estime là où le mépris est commandé.

Mais je dis que vous devez rester entièrement libre de vos déterminations et de vos services vis-à-vis de l'Empereur.

Qu'il ne faut pas tout sacrifier à un système exclusif de va-et-vient et que si une situation vous est offerte digne de vous où votre indépendance vis-à-vis des autres existe, où vous ne soyez que le serviteur de l'Empereur et du pays, il sera bien d'agir suivant votre conscience et votre raison.

En un mot et pour être très clair je ne reconnais ni à Magne ni à moi ni à tous autres qui seraient vos amis, le droit de vous dire" Mon cher Comte soyez ministre pour servir nos rancunes ; ou bien soyez ministre qu'à telles ou telles conditions de bataille ou de victoire.

Suivant moi vous devez agir dans toute votre liberté parce que le respect de vous même et de vos convictions garantit que vous userez en galant homme et en homme politique.

Tel est mon sentiment et il a le mérite du vrai dévouement et de l'amitié sincère.

Je sais bien que j'ai moins d'ardeur et d'ambition que bien d'autres, et que je me tiens pour heureux de la position que l'Empereur m'a faite . Mais aussi je pense que ce milieu calme et tranquille où je vis me met à même de mieux juger et de mieux sentir;certes j'ai aussi mes blessures mes antipathies mais à quoi bon régler là dessus les sentiments que je dois vous exprimer?

Allez donc mon cher ami dans la voie qui vous convient car vous y garderez l'estime de vos amis, mais à eux de respecter votre liberté.

En dehors de cela en dehors d'un ministère mes secrets désirs vous appellent toujours au but que je vous ai montré.

Il est évident que la haute position qui conviendrait si bien à votre dévouement et à votre expérience sera bientôt ouverte.

Songez-y il n'y a rien là qui ne soit juste et convenable. Si l'Empereur ignore bien de choses , bien des hommes, et sa vaste intelligence ne le sauve pas toujours des préjugés.

Ce qui importe le plus c'est qu'il puisse souvent entendre des paroles d'autant plus amies qu'elles seront plus sincères et plus vraies.

Je crois qu'il vous accorde cette justice que vous parlez suivant votre conscience et que vous êtes l'un des plus fidèles à sa dynastie.

Or la position dont je......en vous soustrayant à la vie préoccupée d'un ministère vous donnerait cependant la vie politique dans toute son ampleur et le moyen de rendre d'éminents services. c'est la marotte que je me forge pour vous. Ai-je tort?

Sur quoi je me remets à savourer mon rayon de soleil en attendant le retour et les luttes de la prochaine session.

Car elles seront vives et nombreuses les partis ayant la folle pensée qu'ils peuvent maintenant affaiblir et dominer l'Empereur. C'est ...;le cas de couper net à ces espérances insensées, en se plaçant résolument dans la constitution impériale, gage de repos pour le pays, et en leur déclarant tout masque arraché que nul ne sera bienvenu en France à faire les affaires du Comte de Chambord du Comte de Paris ou de Mr Ledru Rollin.

Si on flotte si on oscille si l'on s'occupe à danser la farandole parlementaire on aura perdu le présent et l'avenir.

Vous avez été bien aimable dans votre lettre mon cher Comte, mais j'ai sans fausse modestie ni gloriole le sentiment que je suis bien l'homme honnête et modeste que vous aimez un peu.

Je garde votre jugement comme l'une de mes plus vives et plus intimes satisfactions. J'ajoute que cela n'empêche pas l'énergie des convictions et la certitude des idées.

J'espère que de ce côté l'Empereur finira par me mieux juger encore bien que je désire peu les occasions où chacun aurait à prendre son rang de bataille.

Merci mon cher Comte et de votre bonne visite et de votre bonne lettre.

Mettez je vous prie mes hommages aux pieds de Mme Walewska et veuillez agréer l'expression de mes sentiments dévoués.