Hanovre, le 7 avril 1865

 

Monsieur le Comte,

J'ai appris avec beaucoup de peine que vous aviez été malade, heureusement que les journaux d'aujourd'hui me rassurent un peu. J'ai trop d'affection pour vous, pour ne pas dans cette circonstance, me rappeler à votre bienveillant souvenir. Je pense souvent à vous et à votre famille et je regrette bien que mon éloignement m'empêche de vous voir et de vous donner des preuves de ma reconnaissance et de mon dévouement.

On a beaucoup parlé de vous, Monsieur le Comte, ces jours derniers dans les journaux ; l'avenir nous dira ce qu'il y avait de vrai dans tous ces bruits ; mais ce que je désire pour mon pays et pour l'Empereur, c'est de vous voir rentrer au ministère des Affaires Etrangères. Je ne suis pas le seul en Allemagne, de cet avis, car vous êtes en France comme à l'étranger le drapeau de l'honneur et le représentant du respect des droits. C'est pour cela que tous les honnêtes gens vous suivront partout et seront continuellement avec vous. Je m'afflige de bien des choses que je lis et la question romaine principalement, me paraît présenter de grands dangers dans un avenir prochain. Pendant mon séjour à Pétersbourg je me souviens avoir souvent entendu dire aux Russes que le grand mal de la religion grecque était de ne pas avoir de chef spirituel indépendant ce qui avait été la cause de la formation des différentes sectes religieuses et de leur dissidence entre elles. "Au moins, ajoutait-on, les catholiques ont un pape, chef unique de leur Eglise, prince souverain, tandis que vos patriaches, soumis à la volonté de l'Empereur, aspirent chacun à une certaine suprématie ecclésiastique qui jette la confusion partout".

Si les russes shismatiques s'expriment ainsi, cela me paraît une raison de plus pour que nous autres catholiques nous soutenions la papauté avec son pouvoir souverain à Rome envers et contre tous, malgré même ses défauts administratifs. L'état actuel de l'Eglise greque est en un mot une sérieuse instruction pour nous et nous apprend ce qu'il faut empêcher même en déplaisant nos amis les italiens. Ne serons-nous pas peut-être l'an prochain fort embarrassés de savoir le Pape à notre frontière, en Bavière par exemple. Les familles allemandes en parlent déjà.

Je termine ma lettre car je sors d'avoir une grave fluxion de poitrine qui a faillit m'enlever et je suis encore trop faible pour écrire longuement, mais vous ayant vu souffrant je ne pouvais garder le silence et ne pas vous exprimer tous mes meilleurs voeux pour votre prompt rétablissement.

Veuillez Monsieur le Comte offrir mes hommages à Madame la Comtesse Walewska et croire à tous les sentiments de respect et d'affection de votre  dévoué serviteur.