Paris, le mardi 186.

Cabinet  du premier Vice-Président du Sénat

 

Mon Cher Comte,

Hier, j'étais écrasé par les préoccupations du moment, et je n'ai pu aller ni vous voir ni assister aux obsèques du maréchal. J'avais tenté de vous voir dimanche, mais vous n'aviez pas paru quai Voltaire et hier,  vous êtes promptement retourné à Etiolles.

Que vous dirai-je ? J'étais resté complètement en dehors de tout. J'ai vu Rouher dimanche ; rien n'était arrêté même quant aux choses, car d'aucuns comme on dit, proposaient la suppression du ministère d'état. Rouher disait qu'il ne voulait à aucun prix, au contraire, rester seul, et me demandait vivement pour le Conseil d'Etat. Je me suis couché avec la conviction qu'il resterait seul, président du Conseil d'Etat, chargé des débats parlementaires, mais avec l'offre de tous les auxiliaires secondaires qu'il voudrait, pour le consoler à une heure du matin, il a reçu de l'Empereur une dépêche télégraphique qui lui donnait raison, l'envoyait au ministère d'état, et lui mandait de m'appeler de suite. L'Empereur, effrayé des inconvénients politiques de tout retard, demandait l'envoi immédiat des décrets, et leur insertion au Moniteur du matin. Que fait-on ? ... ma douce et magnifique retraite, et obéir  comme un soldat dévoué je l'ai fait sans forfanterie tout simplement, surtout à cause de Rouher, parce que j'ai compris qu'à nous deux, nous pouvions être maîtres de notre terrain et neutraliser les critiques et les personnalités. Voilà la chose, mon cher Comte, je n'y fait pas ...

J'ai mal fait pour mon repos. Je me suis jeté dans une voie laborieuse, dévorante, périlleuse, à la grâce de Dieu, je ferai de mon mieux. Mais je dis comme la proverbe, "la plus jolie fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a". Je n'ai pas surfait ma marchandise et je l'ai donnée aux prix offert je n'ai pas plus troublé l'Empereur pour rentrer aux affaires que je ne l'avais troublé, en les abandonnant.

Je ne puis pas aller à Etiolles, car je suis horriblement occupé par les premiers moments d'une rentrée, et tout nous presse et nous prend à la gorge, à la veille de la session.

J'irai au premier instant de liberté à moins que vous ne me préveniez, en rentrant bientôt à Paris. Mandez-moi, par quelques mots de réponse, comment vous allez et ... moi du rude saut que je viens de faire dans les hasards de la vie politique. Ma femme et mes enfants sont encore à la campagne, fort émus de ma situation nouvelle et je les rassure par mon refrain providentiel "à la grâce de Dieu".

Mes plus affectueux et respectueux souvenirs à Madame la Comtesse Walewska, et à vous, mon cher Comte, mes plus sincères amitiées.

 

P.S. : Comme j'aurais du plaisir à causer avec vous !