Dunkerque, le 17 février 1837

 

 

Mon cher Thiers, votre lettre produit un effet puissant sur nos collèges électoraux.

Les esprits élevés l’admirent, les ignorants comprennent et grâce à vous les autres mettent enfin le doigt sur le point de la question. Elle dissipe ces fantômes de guerre à l’aide desquels on nous ... un mal réel. Si je suis juge de la France ... ce qui se passe en ce pays, nous vous devons le succès.

Je suis ici sur la brèche attaqué avec une violence dont rien n’approche.

Le pouvoir n’est plus dans le gouvernement. C’est du comité Jacqueminot qu’émanent les instructions électorales, sous la signature Locquet et Cie de Paris. C’est avec ce dernier que les agents officieux qui dans chaque localité surgissent je ne sais d’où, correspondent directement. Les préfets et sous-préfets ne font que transmettre les ordres du comité central. Ce sont ces mêmes agents qui donnent les ordres, désignent les candidats dans certains cas, ... le mouvement, et portent l’audace jusqu’à faire aux fonctionnaires publics les menaces les plus brutales, et au besoin, comme on l’a fait hier à Dunkerque, au sujet d’un fonctionnaire qui m’est attaché, l’agent directeur va dénoncer aux autorités. Il est vrai que le Préfet du nord a adressé directement à l’homme dont je parle à cet agent du comité central, une longue instruction dans laquelle il est entre autres choses invité à rechercher les fonctionnaires publics qui n’agiraient pas dans le sens du pouvoir. et à les dénoncer à l’autorité supérieure qui en ferait bonne et prompte partie ...

La lettre a été communiquée à un fonctionnaire public de mes amis qui s’est moqué de la lettre, du Préfet, et du porteur de la dépêche préfectorale. Mon attitude ici donne de l’embarras à la faction opposée. Je dis la faction car le ministère trop faible pour gouverner le pays dans des circonstances aussi graves s’est fait agitateur au profit et à la remorque du comité parisien. Jamais le pouvoir n’est tombé si bas. Que l’opposition ait des comités -c’est tout naturel - elle n’est pas le gouvernement - elle tend à centraliser son action; mais que l’administration s’organise comme un parti, marche, agisse comme un parti, qu’elle souffre à ses côtés un pouvoir plus fort, plus grand qu’elle, qui donne des instructions à ses propres agents, instructions devant lesquelles tremblent et s’humilient les agents du pouvoir – c’est ce que nous n’avons jamais vu en France, avant le ministère du 15 avril. Jamais le pouvoir n’est tombé si bas. Je plains ceux qui devront le relever un jour. La tâche sera lourde. Puisse-t-elle ne pas être au-dessus de nos forces.

Chaque jour je gagne du terrain. J’ai pour moi tout ce qui a autorité, considération, position d’une part, et de l’autre me reviennent tous ceux qu’on avait surpris ou égaré en prenant les devants sur moi, qu’on avait terrifié en évoquant devant eux un fantôme de guerre qui leur ferait instantanément perdre l’esprit. Je crois au succès.

Le ministère se dispose ici à opposer Mr le général de génie Daulé à Monsieur ...couvert par le principe qui protège les 213. Aux élections dernières, le ministère et les constitutionnels réunis ont appuyé Monsieur le général Daulé qui a été battu par notre ancien collègue qui est de nuance légitimiste très pâle.

Je me suis entendu avec les constitutionnels, ils acceptent le principe et voteront pour ... Voyez s’il n’y aurait pas moyen de faire prévenir le général Daulé et de l’engager à ne pas se précipiter dans un véritable guêpier.

Il succomberait inévitablement dans la lutte.

Présentez mes hommages très respectueux et très affectueux à Monsieur Thiers et à M. Dosne amitiés à notre receveur général.

Adieu, je vous aime et vous embrasse de coeur

 

Je tiens ici d’une main ferme la bannière du centre gauche et nos amis s’échauffent dans la lutte et les plus modérés parmi eux se tiennent sur la brèche et font bonne contenance. Notre Flandre s’anime. Ce doit être chaud ailleurs.