Lettre de l’Empereur au Maréchal Duc de Malakoff gouverneur de l’Algérie

 

Monsieur le Maréchal,

Le Sénat doit être saisi bientôt de l’examen des bases générales de la constitution de l’Algérie, mais sans attendre sa délibération je crois de la plus haute importance de mettre un terme aux inquiétudes excitées par tant de discussions sur la propriété arabe. La bonne foi comme notre intérêt compris nous en font devoir.

Lorsque la Restauration fit la conquête d’Alger, elle promit aux arabes de respecter leur religion et leurs propriétés. Cet engagement solennel existe toujours pour nous et je tiens à honneur d’exécuter, comme je l’ai fait pour Abd-el-Kader, ce qu’il y avait de grand et de noble dans les promesses des gouvernements qui m’ont précédé.

D’un autre côté, quand même la justice ne la commanderait pas, il me semble indispensable, pour le repos et la prospérité de l’Algérie, de consolider la propriété entre les mains de ceux qui la détiennent. Comment en effet compter sur la pacification d’un pays lorsque la presque totalité de la population est sans cesse inquiète sur ce qu’elle possède ? Comment développer sa prospérité lorsque la plus grande partie de son territoire est frappée de discrédit par l’impossibilité de vendre et d’emprunter ? Comment enfin augmenter les revenus de l’état, lorsqu’on diminue sans cesse la valeur du fonds arabe qui seul paie l’impôt ?

Etablissons les faits : on compte en Algérie trois millions d’arabes et deux cent mille européens, deux cent vingt mille français. Sur une superficie d’environ 14 millions d’hectares, dont se compose le Tell, 2 millions sont cultivés par les indigènes. Le domaine exploitable de l’Etat est de 2 millions, 690 mille hectares, dont 890 mille de terres propres à la culture et 1 million 800 mille, de forêts enfin 420 mille hectares ont été livrés à la colonisation européenne ; le reste consiste en marais, lacs, rivières, terres de parcours et landes. Sur les 420.000 hectares concédés aux colons, une grande partie a été soit revendus, soit louée aux arabes par les concessionnaires et le reste est loin d’être entièrement mis en rapport. Quoiqu’un chiffre avait ... que malgré la louable énergie des colons et les progrès accomplis, le travail des européens s’exerce encore sur une faible étendue et que ce n’est certes pas le terrain qui manquera de longtemps à leur activité.

En présence de ces résultats, on ne peut admettre qu’il y ait utilité à cantonner les indigènes, c’est à dire à leur prendre une partie de leurs terres pour accroître la part de la colonisation. Aussi, est-ce d’un consentement unanime que le projet de cantonnement, soumis au conseil d’état, a été retiré. Aujourd’hui il faut faire davantage: convaincre les arabes que nous ne sommes pas venus en Algérie pour les opprimer et les spolier, mais pour leur apporter les bienfaits de la civilisation. Or, la première condition d’une société civilisée, c’est le respect du droit de chacun.

S’armerait des principes surannés du mahométanisme pour dépouiller les anciens possesseurs du sol, et, sur une terre devenue française, il invoquerait les droits despotiques du Grand Turc ! Pareille position est exorbitante et voulut-on s’en prévaloir il faudrait refouler toute la population arabe dans le désert et lui infliger le sort des indiens de l’Amérique du Nord, chose impossible et inhumaine !

Cherchons donc par tous les moyens à nous concilier cette race intelligente, fière, guerrière et agricole. La loi de 1851 avait consacré les droits de propriété et de jouissance existant au temps de la conquête, mais la jouissance mal définie était demeurée incertaine. Le moment est venu de sortir de cette situation précaire. Le territoire des tribus, une fois reconnu, on le divisera par douaires, ce qui permettre plus tard à l’initiative prudente de l’administration d’arriver à la propriété individuelle. Maîtres incommutables de leur sol, les indigènes pourront en disposer à leur gré, et, de la multiplicité des transactions, naitront entre eux et les colons des rapports journaliers, plus efficaces pour les amener à notre civilisation, que toutes les mesures coercitives.

La terre d’Afrique est assez vaste ; les ressources à y développer sont assez nombreuses pour que chacun puisse y trouver place et donner un libre essor à son activité, suivant sa nature, ses mœurs et ses besoins.

Aux indigènes, l’élevage des chevaux et du bétail, les cultures naturelles au sol.

A l’activité et à l’intelligence européennes, l’exploitation des forêts et des mines, les dessèchements, les irrigations, l’introduction des cultures perfectionnées, l’importation de ces industries qui précèdent ou accompagnent toujours les progrès de l’agriculture.

Au gouvernement local, le soin des intérêts généraux, le développement du bien être moral par l’éducation du bien-être matériel par les travaux publics, à lui le devoir de supprimer les réglementations inutiles et de laisser aux transactions la plus entière liberté. En outre, il favorisera les grandes associations de capitaux européens en évitant désormais de se faire entrepreneur d’immigration et de colonisation comme de soutenir péniblement des individus sans ressources, attirés par des concessions gratuites.

Voilà, Monsieur le Maréchal, la voie à suivre résolument, car, je l’ai déjà dit, l’Algérie n’est pas une colonie proprement dite mais un royaume arabe. Les indigènes ont comme les colons un droit égal à ma protection et je suis aussi bien l’Empereur des arabes que l’Empereur des français.

Le ministre de la guerre partage ces idées qui sont les vôtres comme celles de la plupart de ceux qui ont combattu dans ce pays et qui a une pleine confiance dans son avenir ... une vive sympathie pour les arabes. Je l’ai chargé de préparer un projet de sénatus-consulte dont l’article principal sera de rendre les tribus ou fractions de tribus, propriétaires incommutables des territoires qu’elles occupent à demeure fixe et dont elles ont la jouissance traditionnelle à quelque ...

Le droit, m’objectera-t-on, n’est pas du côté des arabes ; le Sultan était autrefois propriétaire de tout le territoire et la conquête l’aurait transmis au même titre ! Et quoi ! L’état ...............