Le 14 Mars 1856

Mon cher Walewski,

Au point où sont arrivées les conférences, il me semble impossible de faire du nouveau. Je l'avais tenté d'abord afin d'avoir des conditions qui fussent plus agréables au cabinet anglais mais je me suis aperçu promptement qu'il fallait s'en tenir à ce qui avait été arrêté d'avance. Aujourd'hui de quoi s'agit-il? Du nombre de bâtiments que les Russes et les Turcs pourront avoir dans la mer Noire. Eh bien nous ne pouvons que nous tenir au projet envoyé par nous à Londres, et qui contenait 6 vapeurs de 50 m et de 6 canons et 6 transports de 65 m et de 4 canons. Si le cabinet anglais avait fait alors des observations, il m'eût été parfaitement égal de mettre 4 bateaux au lieu de 6 ou d'admettre tout changement qu'il aurait voulu ; mais aujourd'hui que la proposition a été faite aux Russes je ne vois pas comment on pourrait revenir sur la base même de la convention. Moi, j'ai accepté sans y réfléchir mûrement les propositions de l'Amiral Hamelin, comptant sur les observations que pourrait faire le cabinet Anglais.

Lorsque j'ai vu qu'ils n'en faisaient pas, j'ai du penser que les conditions étaient bonnes. Il est vrai que la convention n'était faite que pour des bâtiments de guerre il eût mieux valu ne pas parler de transports, mais maintenant cela est fait. Pourrait-on changer les transports en bateaux à vapeur de 50 mètres ? J'avoue que je l'ignore et je ne vois de possibilité de sortir de la difficulté qu'en restant fidèle au texte original. D'ailleurs y a-t-il un danger réel à ce que les Russes aient des transports avec 4 canons, lorsque la Turquie pourra avoir dans le Bosphore une escadre de haut-bord.

Qui peut empêcher les Russes d'avoir des bateaux de commerce à hélice, qu'on peut armer en guerre d'un jour à l'autre ?

Notre grande victoire consiste à avoir détruit tout le prestige de la Russie en Orient, et ce ne sont pas quelques bateaux à vapeur de plus ou de moins qui le rétabliront.

Croyez à ma sincère amitié.

Napoléon