Saint Cloud, 18 Mai 1856

Mon cher Walewski,

J'ai lu avec attention la dépêche de Vienne. Elle mérite qu'on réfléchisse profondément sur le langage à tenir à l'Autriche, mais avant de formuler une réponse je désire vous bien expliquer ma pensée.

L'Autriche et le Piémont sont nos alliés, mais l'Autriche est une alliée de circonstance, tandis que le Piémont est un allié naturel qui couvre une partie de nos frontières et qui de plus est un puissant instrument entre nos mains pour étendre notre influence en Italie.

Si la politique traditionnelle et séculaire de l'Autriche a été d'empêcher la Russie d'arriver à Constantinople, la politique traditionnelle et séculaire de la France a été d'empêcher l'Autriche d'étendre son influence en Italie. Ainsi par la force des choses, autant la question d'Orient nous rapproche du cabinet de Vienne, autant la question d'Italie nous en éloigne. Est-ce à dire pour cela que je doive désirer aujourd'hui des complications en Italie ? Non certes, et même je dois les redouter d'autant plus que, le cas échéant, ma conduite ne saurait être douteuse et que si par malheur une guerre survenait entre l'Autriche et le Piémont je n'hésiterais pas un moment à prendre fait et cause pour cette dernière puissance.

Il faut donc sans effrayer l'Autriche, ne pas l'induire en erreur et la laisser dans une fausse sécurité. Nous empêcherons autant que possible le Piémont de faire des folies, nous conseillerons énergiquement à tous les petits états italiens les réformes et la clémence, mais si tout cela n'aboutit à rien, et si poussés à bout par une oppression continue les peuples d'Italie finissaient par se soulever, ma sympathie comme mon concours ne leur feraient pas défaut.

Cela une fois établi, il ne s'agit plus que de conformer diplomatiquement son langage et ses actes à cette pensée fondamentale.

Croyez, mon cher Walewski, à ma sincère amitié.

Napoléon

PS. Il faut revenir le petit Lejeune