Biarritz, 26 Septembre 1856

 

 

Mon cher Walewski,

J'ai reçu du Roi de Prusse une lettre dont je vous envoie la copie ainsi que celle de ma réponse. Je vous prie de faire parvenir ma lettre par un courrier au général Mary Monge qui la remettra le 29 à Sarrebruck au Roi de Prusse.

Maintenant voici ce qu'il faut faire dire d'une manière positive à Mr de Salignac à Berne, car c'est le seul moyen d'éviter que la question de Neuchâtel ne devienne une affaire très grave.

Il devra aller trouver le président du Conseil fédéral et lui dire de ma part que l'intérêt que je porte à la Suisse et le désir de lui éviter des complications, m'engagent à lui demander la liberté des prisonniers neuchâtelois, c'est à dire l'exil sans confiscation. Car il faut bien que le président reconnaisse, que si la position de Neuchâtel a été complètement fausse dès le principe, les droits du Roi de Prusse sont incontestables et que celui-ci étant encouragé par l'Autriche et les petits Etats Allemands il ne s'agit de rien moins que d'envoyer une armée prussienne de cent mille hommes contre la Suisse; que dans ce conflit ma position est très difficile, car d'un côté, si j'ai à cœur la tranquillité de la Suisse, je ne puis méconnaître les droits du Roi de Prusse consacrés par les traités ; que si la Suisse par des mesures de modération et je dirai même de générosité envers les prisonniers de Septembre se montre conciliante, il me sera possible de détourner l'orage prêt à fondre sur elle ; mais que si au contraire, elle prend contre les personnes des mesures sévères qui irritent le Roi de Prusse et aient l'air de faire bon marché de ses prétentions, elle m'ôtera toute force morale et les conséquences les plus graves peuvent en résulter pour elle. Car il faut bien que la Suisse sache la vérité ; tout dépend de ma conduite dans cette circonstance difficile. Je n'ai qu'à dire à la Prusse que je laisserai faire et immédiatement la guerre éclatera. Si au contraire, on montre de l'indulgence, mon intention est de saisir de cette question les conférences de Paris, et de ces conférences, je l'espère, résultera un état de choses plus avantageux pour la Suisse.

Recevez, mon cher Walewski, l'assurance de ma sincère amitié.

 

Napoléon