Tuileries, le 28 décembre 1856


 

Mon cher Walewski,

Je ne m'attendais guère je vous l'avoue que vous choisissiez le moment même où je vous donnais une nouvelle preuve de ma confiance pour donner votre démission. Si vous aviez appris par d'autres quelles étaient mes intentions, je concevrais votre susceptibilité, mais ce n'est pas je le répète lorsque je vous ouvre mon cœur que je m'attendais à vous voir mettre un faux amour propre à la place du devoir et du dévouement.

Aussi je ne puis accepter votre démission pour plusieurs raisons. La première et la plus grave est que j'ai pour vous une véritable amitié et qu'il m'en coûterait beaucoup de me séparer de vous. Quoique vous en disiez j'ai pleine confiance dans votre intelligence comme dans votre dévouement, vous savez tout ce que je pense et si nous ne sommes pas toujours d'accord sur des détails, vous comprenez comme moi mes positions. Il me serait donc difficile de vous remplacer.

... quel prétexte donner à votre démission?

Ne donneriez-vous pas prise à toutes les suppositions les plus absurdes en vous retirant et ne croira-t-on pas que je change de politique parce que je change de ministre.

Ce serait là pour moi un véritable malheur comme homme et comme souverain.

La question qui est sur le tapis a deux faces le côté politique et le côté personnel qui vous regarde je ne veux pas parler aujourd'hui du fond de la question, nous pouvons l'approfondir la discuter ensemble, il n'y a pas péril en la demeure mais quant à l'autre côté de la question réfléchissez je vous prie, à la fausse position où vous me mettez, au manque de dévouement que vous me montrez et ce qui sera plus puissant peut-être à vos yeux, au chagrin véritable que vous feriez à quelqu'un qui vous a toujours considéré comme un ami réel.

J'espère que ce que je viens de vous dire fera disparaître le nuage qui a un moment obscurci votre raison et endurci votre cœur et croyez à ma sincère amitié.

 

Napoléon