Projet de dépêche confidentielle Paris le 1856

 

Monsieur,

pendant le Congrès de Paris plusieurs des plénipotentiaires m'ont entretenu de la convenance d'abroger les stipulations du traité du 20 novembre 1815, qui sont en contradiction manifeste avec l'état actuel des choses.

Ils faisaient allusion aux stipulations qui ont rapport à l'exclusion de la famille impériale du trône de France, et à l'interdiction de relever les fortifications d'Huningue. Lord Clarendon s'était montré tout disposé à prendre, au nom de son Gouvernement, l'initiative à cet égard, et reconnaissant, ainsi que les autres Plénipotentiaires, que les évènements s'étaient déjà chargés d'annuler les stipulations précitées, il constatait qu'en les abrogeant par un acte diplomatique on ne ferait que remplir une formalité, dont il appartenait au gouvernement de l'Empereur seul d'apprécier la convenance et l'utilité.

En effet, Monsieur, Sa Majesté Impériale a pensé, dès lors, que si les traités sont sacrés et s'ils lient les Etats qui y ont participé, quels que soient les dynasties et les Gouvernements qui s'y succèdent, il est cependant des stipulations d'une portée exclusive qui n'appartiennent qu'au temps qui les a vues naître et qui, par la nature des choses, cessent d'exister d'elles-mêmes, lorsqu'elles sont en désaccord manifeste avec les faits.

En conséquence, tout en appréciant hautement les dispositions conciliantes des gouvernements dont les Plénipotentiaires s'étaient ouverts à moi à ce sujet, nous n'avons pas cru devoir donner suite à leurs ouvertures amicales.

La présence à Paris, sous le règne d'un Napoléon, des représentants de toutes les grandes Cours de l'Europe, réunis pour résoudre, sous la haute influence de l'Empereur, une des questions les plus importantes de l'équilibre européen, était une dérogation assez éclatante à la principale clause du traité du 20 novembre 1815 pour rendre superflue toute autre abrogation : et certes il ne pouvait entrer dans la pensée d'aucun Cabinet que l'article 3 dudit traité, qui n'avait d'autre but que d'infliger une humiliation gratuite à la France, sous le vain prétexte de rassurer les craintes illusoires d'une petite ville de Suisse, eût encore des raisons d'être, et que, très faible corollaire des clauses principales abrogées par la force des choses, il dût survivre à des stipulations qui ont disparu avec les passions du temps qui les avait fait naître.

Les assurances qui nous ont été données pendant le Congrès par la plupart des Plénipotentiaires n'ont pu laisser de doute sur leur manière de voir à cet égard, et j'ai constaté avec une grande satisfaction que leurs Gouvernements comprenaient comme nous la convenance de ne pas raviver les impressions d'un passé, dont les circonstances présentes venaient d'effacer les dernières traces.

Sur ces entrefaites, les rapports de notre génie militaire ayant fait ressortir l'opportunité de faire quelques travaux à Huningue, Sa Majesté n'a pas hésité à ordonner que ces travaux fussent commencés immédiatement, convaincue que cette décision ne pourrait donner lieu à aucune difficulté avec personne et quelle était entièrement conforme aux dispositions du Gouvernement britannique qui désire, autant que nous le désirons nous-mêmes, faire disparaître tout ce qui, en froissant la susceptibilité nationale, pourrait laisser subsister entre les deux pays des germes de rancunes si peu en harmonie avec les sentiments de cordialité qui président si heureusement aux rapports existants entre les deux gouvernements.

Je vous autorise à donner lecture de ...

 

Dans la marge la phrase suivante au crayon: Je trouve que vous avez raison et il faut se borner à une conversation quand l'occasion s'en présentera.