Paris, le 25 mars 1859

Mon cher Walewski,

Comme le Comte de Cavour va venir demain, il est bon de bien nous entendre d'abord afin de lui tenir le même langage :

1° Qu'est ce que je veux? C'est que l'Autriche sorte isolée du congrès.

2° Comment arriver à ce résultat? C'est en poussant nos demandes jusqu'à la dernière limite du possible. Monsieur de Portalis me disait encore hier soir qu'il fallait que la satisfaction fût réelle pour l'Italie. Or elle ne peut être réelle que si par un moyen quelconque on amène une organisation qui équivaille au fameux système de non-intervention de Louis-Philippe, car vous comprenez bien que si le congrès n'amenait pas même un résultat égal à celui proclamé par le dernier gouvernement cela serait honteux pour moi.

Ainsi ce à quoi il faut bien s'attacher (et là est toute la question) c'est de trouver un terrain qui l'isole et non un terrain qui la satisfasse. Il faut bien que vous vous pénétriez de cette idée d'avance afin qu'une fois le congrès réuni je ne réponde pas par un refus à toutes vos propositions.

Cela posé voilà ce que je compte dire au Comte de Cavour.

La question d'Italie a été mal posée le congrès la remettra sur un bon terrain. Aujourd'hui je ne peux pas faire la guerre sans grand danger ; attendez la solution des questions posées au congrès et aidez-moi à trouver et à poser les questions.

Si comme je l'espère le congrès prend une délibération contraire à l'Autriche la guerre se fera dans de bonnes conditions, si au contraire l'Autriche cède sur tous les points il faudra s'en consoler et remettre la partie à une autre époque.

Quant au désarmement qui nous est la chose la plus difficile permettez-moi de désarmer si l'Autriche elle-même désarme.

Voilà ce que je compte lui dire tout en lui protestant ce qui est vrai de mon inébranlable résolution de le soutenir jusqu'au bout.

Car je suis las de tous ces tiraillements et de tous ces détours de la diplomatie il me tarde d'en appeler à l'opinion publique de tous les peuples et de briser ces liens de fer qui enlacent mon pays et moi depuis 40 ans.

Croyez à ma sincère amitié.

Napoléon

Votre champ de bataille à vous va s'ouvrir bientôt vous pouvez y acquérir une gloire très grande si vous pouvez vous élever au-dessus de cette atmosphère de chancellerie qui étouffe tout ce qui est grand et généreux. La France portera très haut un homme qui osera tenir un langage ferme et énergique elle ne louera jamais une politique de juste milieu ou d'eunuques.

Or nous risquons fort d'être ... au dessous du juste milieu. Voilà ce que je crains. Drouyn de Lhuys est parti pour Vienne avec les plus fermes et les plus belles intentions au bout de huit jours il avait tout concédé !