Alexandrie, le 22 mai 1859

 

 

Mon cher Walewski,

Il faut que ma position soit bien clairement et nettement définie aux yeux des cabinets étrangers qui veulent rester bien avec moi et surtout aux yeux du cabinet russe.

En portant la guerre en Italie, je n'ai certainement pas l'intention de réveiller les passions révolutionnaires mais mon intérêt comme mon devoir m'obligent à me servir de toutes les insurrections partielles qui peuvent éclater. Vouloir circonscrire de plus en plus le champ de mes opérations c'est rendre la guerre presque impossible. On voudrait qu'excepté la Lombardie tous les autres territoires fussent neutres, c'est rendre ma position bien difficile. J'ai envoyé un corps d'armée à Florence pour opérer une diversion heureuse sur la gauche des Autrichiens, et ensuite pour empêcher les démagogues du pays de s'emparer du mouvement. D'ailleurs je conçois que la Russie eût le droit de me faire des conditions si elle voulait entrer franchement en coopération avec moi, mais tant que sa conduite est tellement indécise je ne puis pas faire grand cas de ses recommandations. D'ailleurs il faut lui dire très franchement que la guerre sera d'autant moins révolutionnaire que son action et son alliance avec moi seront plus marquées.

Car s'il devait arriver que toute l'Europe fit cause commune contre moi, je n'aurais plus d'autre ressource que de prendre franchement en main dans toute l'Europe la cause révolutionnaire. Il dépend donc jusqu'à un certain point de la Russie de donner à la guerre que j'ai entreprise un caractère plus ou moins décidé.

Je trouve très bien de renouer nos rapports avec Naples et de tâcher de revenir sinon à son alliance du moins à sa neutralité.

Quand j'aurai passé le Tessin, je compte bien adresser une proclamation à l'Italie dans le sens que vous m'indiquez.

Prenez bien garde dans vos dépêches et vos circulaires de m'engager plus que je ne veux. J'ai appris par Gramont que vos dépêches à Rome allaient bien au-delà de ce que je voulais dire. Certes je suis très décidé à ne rien faire contre le pouvoir du Pape, mais il y a loin de là à donner pour l'avenir des assurances que je ne pourrai peut-être pas tenir.

Il faut envoyer à Bologne comme consul ou agent consulaire un jeune homme actif qui puisse donner à Gramont des renseignements sur l'armée autrichienne.

Recevez l'assurance de ma sincère amitié.

Napoléon