Monsieur le Ministre,

Parmi l'ensemble des mesures discutées aujourd'hui au Conseil privé et au Conseil des ministres réunis, celle qui repose sur la suppression des crédits supplémentaires et extraordinaires a seule obtenu mon approbation.

Depuis longtemps, vous le savez, ma préoccupation était de renfermer le budget dans des limites invariables et souvent, en présidant le Conseil d'Etat, j'ai exprimé mon désir à cet égard. Malheureusement des circonstances imprévues et des nécessités toujours croissantes m'ont empêché d'atteindre ce résultat. Le seul moyen efficace d'y parvenir est d'abandonner résolument la faculté qui m'appartient d'ouvrir, en l'absence des chambres, des crédits nouveaux. Ce système fonctionnera sans préjudice pour l'Etat si après l'examen attentif des économies possibles, une explication loyale des besoins réels de l'administration persuade les députés de la nécessité de doter convenablement les différents services.

Je viens donc vous prévenir de mon intention de réunir le 2 décembre le Sénat pour lui faire connaître ma détermination de renoncer au pouvoir d'ouvrir, dans l'intervalle des sessions, des crédits supplémentaires ou extraordinaires. Cette résolution fera partie du sénatus-consulte qui, suivant ma promesse, réglera par grandes sections le vote du budget des différents ministères.

En renonçant au droit qui était également celui des souverains même constitutionnels qui m'ont précédé, je pense faire une chose utile à la bonne gestion de nos finances. Fidèle à mon origine, je ne puis regarder les prérogatives de la couronne ni comme un dépôt sacré auquel on ne saurait toucher, ni comme l'héritage de mes pères qu'il faille avant tout transmettre intact à mon fils. Elu du peuple, représentant ses intérêts, j'abandonnerai toujours sans regret toute prérogative inutile au bien public, de même que je conserverai inébranlable dans mes mains tout pouvoir indispensable à la tranquillité et à la prospérité du pays.

Sur ce, Monsieur le Ministre, je prie qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

Ecrit au Palais de Compiègne le 12 novembre 1861

 

Napoléon