Un de nos amis arrive de Turin, où des affaires de chemin de fer l’avaient appelé auprès du ministre de l’Intérieur Monsieur Minghetti avec lequel il a assez longtemps causé sur la politique.

Voici ce qu’il écrit de Florence en date du 25 décembre.

Les ministres de Turin sont unanimes à se plaindre amèrement de Monsieur Ricaroli qu’ils appellent un Pédant. On avoue franchement que l’Italie méridionale est dans la plus complète anarchie. Mais parmi les confessions du ministre Minghetti il y en a une qui a de l’importance.

Nous ne pouvons dit-il être les maîtres de l’Italie méridionale sans en occuper militairement toutes les provinces. Cela exige une armée de 100000 hommes. Nous avons devant nous Gaëte contre laquelle nous ne réussirons jamais si l’Empereur Napoléon ne laisse libre d’attaquer par mer même dans ce cas-là les opérations du siège ne peuvent commencer d’une manière vraiment sérieuse que vers la fin de Février. On est encore à fondre les pièces les plus importantes de l’artillerie que nous devons employer. Mais d’ici à la fin de février ou au commencement de mars nous sommes menacés par d’autres difficultés et bien plus graves. Nous avons à subir l’immense pression du parti révolutionnaire le plus avancé. Ils nous forceront à attaquer l’Autriche. Nous savons bien qu’un peu plus tôt un peu plus tard il faudra finir par là ; mais cependant pour le moment ce serait sage d’éviter cette guerre. Nous sommes loin d’avoir assez de forces pour l’entreprendre. Si Garibaldi nous force la main, si nous attaquons l’Autriche, nous nous trouverons dans la position la plus dangereuse. Une guerre dans le nord nous obligerait à abandonner les Deux Siciles et à renoncer au siège de Gaëte. Si nous voulons garder les Deux Siciles et continuer le siège en ce cas-là nous serons certains que Garibaldi et son parti seront les maîtres de l’Italie supérieure où ils feront tout ce qu’ils voudront.

En me disant toutes ces choses il me semblait que le ministre Minghetti penchait plutôt pour la première que pour la seconde hypothèse. Il préférerait attaquer l’Autriche pour ne pas être débordé par Garibaldi, et ne pas avoir à recevoir ses ordres. Peut-être en sacrifiant la possession ce Naples il croit qu’il conserverait le pouvoir et qu’il éviterait le danger le plus grave et le plus imminent.

En abandonnant les Etats napolitains pour ne s’occuper que de la guerre dans la Vénétie, les piémontais ont quelques espoir que les troupes françaises occuperaient provisoirement le royaume de Naples pour empêcher l’anarchie ou sous tout autre prétexte, et que sans venir précisément sur le champ de bataille combattre pour le Piémont la France pourrait être portée à l’aider indirectement.

Le ministre disait : je ne me dissimule pas que cette espèce d’intervention française pourrait ouvrir le chemin à une nouvelle domination étrangère dans la plus belle partie de l’Italie ; mais qu’il faut se soumettre à la nécessité de s’en rapporter à la loyauté de l’Empereur et avoir espoir dans les obstacles qu’en tout cas l’Europe entière ne manquerait pas de soulever.

On faisait observer au ministre qu’une guerre d’attaque contre l’Autriche sans le secours direct de la France pourrait mener à des résultats bien désastreux. Certainement répondait-il mais après tout au pis-aller dans la plus mauvaise hypothèse nous sommes sûrs que les puissances occidentales ne nous laisseraient point écraser. L’idée les chances resteraient pour l’avenir.

Avez-vous vu les fortifications de Plaisance et de Bologne demandait le Ministre

Je les ai vues on lui répondait mais pour les rendre utiles il faudrait avoir une armée le triple de celle que vous avez. Oh ! Quant à cela l’armée régulière tiendra la campagne et les forteresses seront occupées par la garde nationale que nous préparons à la guerre en la mobilisant.

Et les Parlements ! On observait au ministre : il y en a deux : un à Paris et l’autre à Turin ; et tous les deux pourraient créer des difficultés. C’est possible, répondait Mr Minghetti mais pas quant à celui de Paris. Nous n’avons rien à craindre de celui-là. Quant au Parlement de Turin il est bien vrai que à en juger d’après les apparences de ce moment on doit avoir des craintes.

Ricaroli viendra avec le siens faire de l’opposition si nous ne réussissons pas à le gagner. Il y a aussi Poerio à qui Cavour avait promis de faire de Naples la grande capitale. Il voudra peut-être devenir le Ricaroli du Midi et nous créer des embarras avec ses napolitains. Mais le vin est tiré il faut le boire. Le temps nous donnera des conseils

En attendant les travaux pour préparer la salle du Parlement à Turin avancent très lentement et la convocation des chambres peut encore être assez longtemps différée.