Michel Montaigne, le 2 septembre 1862

[En tête : cabinet de Son Excellence M. Magne

Ministre sans Portefeuille]

 

Très cher collègue et ami,

Les journaux ont annoncé que l'Empereur avait appelé, par des convocations spéciales, les ministres et les membres du Conseil privé absents de Paris. N'ayant reçu aucune convocation de cette nature, j'ai pensé qu'il n'y avait eu qu'un conseil ordinaire composé des membres présents - si autre chose avait eu lieu, vous seriez bien bon de me le dire-.

Il est certain que la matière ne manque pas aux délibérations. Sans compter les projets sur l'organisation intérieure du gouvernement qui peut-être préoccupent déjà, l'affaire d'Italie, malgré l'heureuse issue des résistances que Garibaldi a rencontrées, est bien digne d'attention. La providence a servi l'Empereur en le dispensant d'intervenir lui-même. Mais la situation au fond n'en reste pas moins grave. Vous connaissez ma marotte. L'affaire d'Italie est religieuse et politique, au point de vue religieux elle intéresse toutes les puissances catholiques, au point de vue politique, comme distribution de territoire, elle intéresse toutes les grandes puissances de l'Europe. Donc un seul ne peut pas la résoudre. Donc il faut un congrès. Donc tout ce qui sera fait jusque là, même étant bon, ne sera que provisoire. Et c'est du définitif qu'il nous faudrait non seulement pour rétablir la confiance, et relever le crédit, mais aussi pour nous sortir de cette position étrange, inouïe ; qu'ayant fait plus qu'aucun autre et  pour le Pape et pour l'Italie, nous n'avons recueilli que l'ingratitude et la haine, et du clergé et des Italiens.

Je sais bien qu'on répond à priori qu’un congrès est impossible, mais ce serait déjà beaucoup si on reconnaissait qu'il est nécessaire, qu'il est indispensable, que lui seul peut dégager notre responsabilité et nous faire sortir de l'impasse où nous nous trouvons. Il me semble qu'en politique comme à la guerre, il faut commencer par bien déterminer son objectif, c'est à dire le point d'où dépend le sort de la bataille et vers lequel doivent être dirigés tous les efforts.

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Hé bien ! Si le congrès était l'objectif de notre politique, si on était convaincu que sans lui rien ne se finira, si tout les efforts étaient dirigés de ce côté, il me semble bien difficile de ne pas surmonter tôt ou tard les obstacles qui ont pu l'empêcher jusqu'ici. Quand je parle de congrès je me sers peut-être d'un mot impropre, je veux parler d'une instance commune entre les puissances intéressées, quelle qu’en soit la forme. Vous rirez peut-être de mes réflexions, car la politique n'est pas mon fait, et j'en parle comme un aveugle des couleurs ; mais je sens très vivement l'impression générale ; c'est que l'état actuel ne peut pas se prolonger indéfiniment sans de graves inconvénients et peut-être sans danger.

Ce serait une chose bien heureuse, si la tentative de Garibaldi en mettant à nu le caractère révolutionnaire des unitaires à outrance, dessillait les yeux de toutes les puissances et du gouvernement piémontais lui-même, leur montrait leur véritable ennemi commun, ennemi implacable, qui n'acceptera jamais volontairement une transaction quelconque, qui ne veut pas plus de Victor Emmanuel, roi unique, que de la confédération, qui veut en Italie comme ailleurs la république indivisible, et sociale, sauf à lutter même contre elle si elle était établie de manière à pouvoir fonctionner- contre cet ennemi de tous les gouvernements, pourquoi donc les gouvernements ne finiraient pas par s'entendre.

Mais s'entendre comment! Voilà le difficile ; j'ajoute même l'impossible si on veut concilier absolument et par un accord amiable L'Italie qui veut Rome et le Pape qui veut ses états perdus.

Il est évident que ces deux ... sont inconciliables qu'ils le seront dans 20 ans comme ils le sont aujourd'hui. Qu'ainsi il faut pour forcer l'Italie à renoncer à Rome, et pour forcer le Pape à renoncer à ses Etats, il faut une volonté plus forte que la leur qui s'impose à eux de manière irrésistible; c'est la volonté commune de l'Europe, est-ce bien réellement impossible de l'obtenir dans des conditions raisonnables qui laissent au Piémont ce que la force a établie ce que le temps a déjà consacré, ce qu'une grande partie de l'Europe a reconnu et qui d'un autre côté garantissent au Pape ce que la générosité de l'Empereur lui a conservé; ou je me trompe beaucoup ou la masse de l'opinion (à part les exaltés des deux côtés) serait satisfaite d'un arrangement analogue sans doute il serait préférable de revenir au principe de Villafranca, à la confédération mais nous sommes déjà bien loin de la source pour qu'il soit possible de remonter le courant, je le crains du moins, et je vois un intérêt si grand pour nous à sortir de notre fausse position que je ferais volontiers le sacrifice de mes tendances personnelles, en faveur de la consécration du statu quo équitablement réglé! s'il n'y avait pas moyen de faire mieux

En voilà du radotage excusez le en raison de la bonne intention