Copie d’une lettre adressée par le Ministre à Mr Walewski

Trélissac, le 23 Juin 1863

 

Mon cher ami,

Lorsque je suis parti, toute probabilité d'un changement prochain avait disparu. Jusqu'ici les bruits contraires n'étaient arrivés jusqu'à moi qu'à l'état de rumeur très vague.

Ils se précisent maintenant et semblent indiquer que le dénouement ne se fera pas attendre.

Si ma présence à Paris avait eu quelque intérêt, vous et Rouher m'en auraient certainement donné avis. Je puis donc parler de ce qui se passe avec désintéressement et liberté.

On m'affirme que notre ami renouvelle ses exigences et demande le Moniteur. J'espère bien que Sa Majesté ne fera pas cette concession, exorbitante et dangereuse. La haute raison de l'Empereur qui va si droit au fond des choses se demandera dans quel intérêt on s'est servi de la Presse semi-officielle dont on a eu la libre disposition. Si on s'en est servi pour faire ressortir le côté favorable de nos finances, pour rassurer le pays, pour accroître la popularité de l'Empereur. Sa Majesté n'oubliera pas, qu'à un certain moment, elle a été obligée de réagir elle-même, dans son discours d'ouverture, contre les ravages que la presse dévouée avait fait en France et à l'étranger dans un intérêt qui certes n'était pas le sien. L'impression a été si profonde et si mauvaise qu'elle est devenue, dans les mains de l'opposition, l'arme électorale la plus dangereuse.

Qu'on livre le Moniteur et on verra…

Encore si quelques résultats avaient été obtenus, mais non. Est-ce que la situation est meilleure ? Est-ce que les impôts sont plus populaires ? Est-ce que la rente est plus élevée?

Le jour où l'Empereur dira : laissons de côté les promesses, voyons les faits, tout sera dit!

J'ai l'esprit bien dégagé de tout sentiment autre que celui de la reconnaissance et du dévouement ; mais je suis affligé de voir les vrais et sincères amis du souverain sacrifiés à des illusions. J'ai disparu d'autres pourraient disparaître, tous les prétendus obstacles seront levés et les choses resteront au même point, parce qu'on est dans le faux, qu'on voit les remèdes là où ils ne sont pas, qu'on nuit au crédit en croyant le servir. Deux années d'expérience l'ont surabondamment prouvé.

Mais je m'arrête, j'en dirais trop si je disais tout ce que je pense.

Je termine en faisant des vœux pour que les choses s'arrangent, et que votre situation ne soit pas entamée ; je le désire pour vous et pour l'Empereur.

Mille amitiés.

P. Magne