Trélissac près Périgueux, le 15 août 1864

 

Très cher comte et ami,

Le lieu d'où cette lettre est datée vous apprendra que j'ai quitté Paris plus tôt que je n'avais pensé. La santé de ma fille m'y a obligé, et je me félicite d'avoir pris ce parti; le changement d'air a fait merveille.

Ce que vous m'avez appris concernant la note remise à l'Empereur m'a été confirmé par d'autres; j'ai accepté avec empressement cette sorte d'enquête sur les membres de ma famille, fonctionnaires publics. En demandant mon congé, j'ai envoyé une notice sur chacun d'eux et j'ai lieu de croire que j'ai bien fait.

Il y a de par le monde quelqu'un ou quelques uns qui sont heureux que mon esprit ne soit pas porté aux représailles et que je me sois borné à la défensive. J'aurais eu trop d'avantage si j'avais procédé par comparaison. Je n'avais pas besoin de ce moyen, la vérité, prise en elle-même, étant assez concluante. Je vous montrerai cela ; vous verrez ma modération envers nos adversaires.

Avant de partir j'ai vu Forcade, Rouland, Boudet, Rouher. Je n'ai rien appris d'important. Rouher paraît préoccupé du projet d'envoyer des ministres à la chambre, mais je le crois disposé aux concessions. J'induis tout cela de cette phrase : "personnellement j'en serais bien aise, mais ce serait, politiquement, très mauvais pour la dynastie impériale.

Les bruits ministériels sont toujours aussi fréquents, aussi vagues, aussi contradictoires que jamais. La seule chose qui m'ait paru digne d'intérêt, c'est l'intention de Rouher d'entretenir très prochainement Sa Majesté de l'organisation du Conseil privé. Il a promis de m'écrire à ce sujet.

Après le Conseil général j'irai à Montaigne et probablement à Arcachon. Vous serez rentré et vous saurez plus tôt que moi si le Conseil privé est en jeu. Je compte principalement sur vous pour être renseigné.

On parle d'un long congé pour notre ami. Je vous adresse ma lettre chez le Maréchal Raudon ; faites-lui, je vous pire, toutes mes amitiés !

Je voudrais vous résumer, en un mot, mes impressions sur les efforts du moment ; se tenir et le tenir ; ce n'est pas nouveau, mais c'est habile ; on paraît compter sur ce moyen.

Je m’occupe de mes notes avec délices. Repasser le temps où on a été ministre est certainement la plus agréable manière de l’être encore. L’imagination supprime les tristesses de la réalité.¨

Adieu, très cher comte, amitiés pour vous et civilités empressées pour Madame la Comtesse.

P. Magne

Mon fils, l'ancien officier vient d'être nommé membre du Conseil général à l'unanimité. Il aurait été nommé député de même, si l'administration n'avait cru devoir lui préférer un candidat qui n'avait d'autre titre personnel que d'être l'ami de Lavalette et son protégé. Pour plaire à ce dernier on a vivement blessé le sentiment public, dont le courant s'était porté de lui même du côté de mon fils. Certainement en écartant ce dernier l'Empereur a cru éviter toute apparence de faveur ; j'ai le moyen de prouver qu'il a, à son insu, préparé le triomphe d'une coterie, contre le vœu général au profit d'une influence particulière. J’ai des preuves claires comme le jour.