Michel Montaigne, le 15 octobre 1864

 

Très cher comte et ami,

D'après ce que m'a dit Valerand et ce que je lis dans certains journaux, les invitations pour Compiègne paraissent ajournées indéfiniment.

Je me propose de rester encore quelques temps à Montaigne pour surveiller de petits travaux d'appropriation, à moins que vous ne me disiez, qu'à votre avis, il y aurait des raisons sérieuses pour avancer mon départ, j'agirai suivant vos indications.

J'espère que l'année prochaine j'aurai un gîte simple mais convenable, et je serai bien heureux si vos affaires et la direction de vos excursions vous permettaient de faire une petite visite au manoir du philosophe- vous verrez que j'ai raison de préparer ce séjour, pour être le refuge et la consolation de ma vieillesse, comme le fit Montaigne il y a trois cent ans. Dites moi si vous voulez que je vous envoie immédiatement la barrique de Saint-Emilion qui vous est destinée; ou si vous désirez qu'elle reste vieillir dans mon chai. Si vous pouvez la faire ... chez vous, c'est à dire ... et regarnir souvent, je vais l’expédier. Sinon je lui ferai passer chez moi ce temps d'épreuve, sans aucune gêne pour moi. Dites ce que vous préférez.

Rouland est arrivé dans un moment difficile. Il a une position plus sûre,  plus nette, plus tranquille à certains égards, mais il n'est pas affranchi de toutes tribulations. J'en sais quelque chose, ayant été par le fait gouverneur de la banque pendant trois années de grandes crises, le directeur d'alors ayant pour ainsi dire abdiqué dans les mains du Ministre des Finances.

Nous avons pensé qu'avant trois mois le Président du Conseil d'Etat et le Ministre d'Etat seraient à couteau tiré. N'en croyez rien, vous verrez.

 

Mille bonnes amitiés.

P. Magne

Il parait que le bruit de ma mort a couru à Paris, puisque plusieurs arrivés à Montaigne s'informent du fait.

Grâce à Dieu je n'ai jamais joui d'une santé plus complètement bonne.