Château de Michel Montaigne par Lamothe Montravel (Dordogne),  le 2 Novembre 1864

 

Cher comte et ami,

Le beau temps, quelques affaires et la santé de ma fille rendue florissante par notre excellent climat, me retiendront à Montaigne, un peu au delà de mes prévisions, si rien ne vient précipiter mon retour.

J'ai appris avec plaisir que vous n'avez pas communiqué mes notes. J'avais des scrupules sur quelques expressions qui auraient pu paraître vives, si mes souvenirs me les rappellent bien, ce que je ne peux pas vérifier.

Quelque tournure que les choses aient prises,  il serait très regrettable, suivant moi, que le projet fut abandonné, comme l'année dernière. L'Empereur me disait dernièrement : il faut que cette question soit examinée par les ministres, comme s'ils allaient rentrer au Conseil privé ; et par les membres du Conseil privé comme s'ils étaient à la veille de redevenir ministres. On peut ajouter et comme si après être redevenus ministres, ils devaient revenir au Conseil privé. [Tracé : Si, en effet, cette institution qui est une actualité pour les uns, une perspective pour les autres, venait à être détruite, elle serait perdue pour les uns et pour les autres.]

Car, dans cette grande mobilité des élans, ceux qui composent le Conseil privé, qui pourront en sortir et plus tard y entrer ont tous le même intérêt ou d’actualité ou de perspective.

Mettons les points sur les i. Prenons l'hypothèse de l'Empire. Supposons que les membres actuels du Conseil privé rentrent dans la vie active : ou le Conseil privé sera réorganisé après leur départ, et il sera peu flatteur pour eux qu'on ait fait pour d'autres ce qui leur aura été refusé ;  ou on le laissera tomber de langueur, et la portion sera perdue pour eux mieux dans le cas ou ils ….. de nouveau des fonctions actives.

Le projet soumis à Sa Majesté, plus ou moins modifié, était juste, logique, politique, indépendant des circonstances et des personnes. Telle a été toujours mon opinion et ma manière de l'envisager.

L'opinion publique est depuis longtemps fixée sur le charlatanisme dont vous me parlez. Mais si on attend qu'elle fasse justice on attendra longtemps. Le bon public murmure ;  il exprime son mécontentement tout bas. Mais il sait bien qu’il n’a pas de décision à prendre, et, ne sachant pas ce qui adviendra, les plus mécontents, son ceux qui, par habileté, ménagent le plus la situation acquise : vous avez pu le remarquer souvent, comme moi.

Mais nous aurons le temps de parler de toutes ces …

Mille bonnes amitiés

P. Magne

Copie d’une lettre envoyée le 2 décembre à M. Walewski à Paris.