Château de Michel Montaigne par Lamothe Montravel (Dordogne), le 25 mai 1867

 

Mon cher Comte et ami,

Votre lettre du 12 m'annonçait pour aujourd'hui 25 votre arrivée à Saint-Germain. Je suppose donc que vous y recevrez celle-ci.

Dans ma retraite, je ne vois personne, je ne reçois aucune nouvelle directe ; c'est à peine si j'entends l'écho affaibli des bruits politiques et des fêtes princières. J'attends donc avec impatience le récit que vous m'avez promis de vos premières impressions.

Est-ce une paix durable, est-ce une trêve momentanée que cet arrangement du Luxembourg ? Qui voit assez clair dans l'avenir pour dire ce qui arrivera.

Mais paix ou trêve, je trouve cet arrangement cent fois préférable, dans les circonstances actuelles, à une guerre immédiate, pour laquelle il paraît bien, hélas! Que rien n'était prévu et préparé et que l'exposition aurait rendue désastreuse pour le commerce. Ainsi que j'ai eu occasion de l'écrire à Rouher, la paix ne dépendra pas de nous seuls, et la France serait inexcusable d'encourager, par son imprévoyance, l'audace de sa rivale; car il faut bien ainsi appeler la Prusse reconstituée. Félicitons-nous donc de la paix ; mais, pour la rendre durable, mettons-nous en état de ne pas redouter la guerre.

Voilà, suivant moi, quelle devrait être la politique du jour, pratiquée sans bruit, mais avec suite et résolution. On ne compte réellement qu'avec les forts.

Vous me parlez du Conseil privé. Quelle dérision ! On le croit bien faible, bien abandonné, bien dépourvu de vitalité puisqu'on compte si peu avec lui.

Sans doute le repos dont vous me parlez a son prix que je suis très loin de dédaigner. Mais le repos qui ne sert absolument à rien finit par dégénérer en fatigue et devient insupportable. Je vous assure que je suis humilié de cet aplatissement. Demandez à Persigny ce qui est arrivé à lui et à Fould chez l'ambassadeur d'Angleterre. Le rang même n'est pas pris au sérieux.

J'ai écrit à Rouher que je compte reprendre la question à mon retour.

Pensez-y.

Il ne me paraît pas possible que l'Empereur ait l'intention de prolonger indéfiniment cet état de choses qui n'est bon pour personne, pas même pour Sa Majesté. Je voulais lui en écrire ; mais j’ai pensé qu'une conversation vaudrait mieux pour renouer la question.

Dites-moi s'il y aurait opportunité.

 

Mille amitiés bien sincères

P. Magne

Je suis tellement dégoûté de la situation qui nous est faite que tout autre me semblerait préférable ;

vos réflexions sur l'ambassade de Florence ont reporté mon esprit sur celle de Rome et sur ce que l'Empereur vous a dit de moi à cette occasion.

Nous causerons de tout cela, lorsque la solitude, mauvaise conseillère, qui noircit les choses, ne pèsera plus sur mon esprit.