Château de Michel Montaigne par Lamothe Montravel (Dordogne), le 9 Juin 1867

 

Cher Comte et ami,

Votre lettre m'a fait grand plaisir ; elle a dissipé toutes mes incertitudes, causées par les journaux, sur votre séjour actuel ;

 ils ont annoncé que vous renonciez définitivement à la vie politique ; heureusement pour l'Empereur,  pour le pays et pour vous il n'en sera rien. Qui a jamais pu, après s'être marié avec la politique, faire divorce volontairement pour la vie ; qui a bu, boira.

Je serai à Paris vendredi et samedi prochain. J'espère bien que je vous trouverai encore à Saint-Germain.

Je vous ai écrit à Saint-Germain, le 29, une lettre sur le sort de laquelle j'ai quelques doutes.

Je me réjouissais de vous avoir de nouveau pour voisin et pour vis-à-vis. Je croyais votre affaire arrangée avec la vénerie. Il me semble que si vous rappelez la parole donnée et si vous en parlez au maître, vous réussirez.

Tout ce que vous dites de la fête à laquelle vous avez assisté, de la satisfaction mal contenue des uns et de l'inquiétude des autres est dans la nature de la situation ; je vois tout cela de ma solitude.

Un seul point commun rallie les sentiments : c'est l'indignation universelle inspirée par l'attentat du Bois de Boulogne. Crime et faute comme dit Girardin. Ce grand concours de souverains aura sa place marquée dans l'histoire quel qu'en soit le résultat. Pourquoi faut-il qu'un insensé soit venu troubler cet horizon radieux.  Notre Empereur pouvait être atteint ; j'ai cru devoir lui écrire ; et vous?

A bientôt la suite de nos entretiens

 

Mille amitiés !

P. Magne