Paris, le 5 août 1867

Mon très cher Comte,

Vous savez plus de nouvelles que moi, car ici je n'apprends absolument rien.

A l'intérieur, le point saillant c'est le discours de Persigny qui a produit dans le public beaucoup plus d'effet que les ministres paraissent le croire et que n'espérait peut-être Persigny lui-même. Le point d'interrogation auquel je ne pourrais répondre est celui-ci : l'Empereur l'a-t-il autorisé ?

A l'extérieur, la note du Moniteur sur le Danemark, si peu crue, si contestée, si contredite par des documents présentés comme certains, donne lieu aux plus fâcheuses plaisanteries sur la véracité de la feuille officielle. N'être pas cru est la plus déplorable la plus démolissante chose.

Pour ma part je suis très affligé de voir ainsi s'en aller peu à peu notre grande force morale.

Un mot sur le conseil privé. Dans une récente conversation avec l'Empereur, Sa Majesté m'avait paru disposée à sortir enfin du statu quo, j'en avais parlé à Rouher. Un projet avait été discuté entre nous deux ; Rouher devait le soumettre au chef.

Ce matin au moment de partir pour l'Allemagne, Rouher m'écrit que l'affaire est ajournée pour être plus approfondie. Je lui réponds immédiatement qu'une question examinée depuis cinq ans et qui n'est pas encore approfondie est une question vidée; qu'en conséquence j'abandonne la partie, non convaincu, mais vaincu, non pour ajourner, mais pour n'y plus revenir.

Je le regrette. Rien n'est plus mauvais, moins politique, plus dissolvant que la situation actuelle qui au lieu de grouper les forces et les dévouements (ce qui serait si nécessaire) les divise de plus en plus. Comment l'Empereur ne le voit-il pas ?

Ha ! Mon cher Comte, que tout cela est triste et décourageant ; je vais partir pour le plus longtemps possible.

Nous vous attendons à Montaigne ces vacances.