Château de Michel Montaigne, par Lamothe Montravel (Dordogne), ce 17 août 1867

 

[Copie de la lettre envoyée à Evian à Mr Walewski]

Mon cher Comte,

 

Je reçois votre lettre au moment même où j'arrive à Montaigne. Je n'ai quitté Paris que hier soir, ayant été retenu par quelques affaires de l'exposition.

Voici donc ce qui s'est passé pour le Conseil privé.

Le projet était bien simple, vous le connaissez déjà. Il consistait purement et simplement à donner aux membres du Conseil privé le titre de Ministre sans portefeuille avec le droit de faire partie du Conseil des ministres, soit une fois par semaine comme du temps de la régence de l'Impératrice, soit pendant la durée de la session; sans préjudice des convocations spéciales.

Toutes mes réflexions depuis cinq ans m'ont toujours ramené à cette [tracé : idée qui fut la première que j’opposai à l’Empereur avec vous et Persigny, c’est-à-dire que par leur institution même …] première idée, que par la nature même de leur de leur institution les membres du Conseil privé sont les ministres du Conseil comme les autres sont les ministres de l'action et de la parole et qu'il ne s'agirait que de mettre le nom et le fait d'accord avec l'esprit de la création, sans quoi avortement certain et prochain. Monsieur Drouyn de Lhuys [tracé : à qui j’ai parlé] approuvait fort l’idée et la démarche. L'Empereur [tracé : me paraissait décidé à prendre une partie et j’avais cru comprendre que le projet ne lui déplaisait pas] ne paraissait pas contraire, loin de là.

Rouher [tracé : de son côté] donnait de bonnes raisons pour me persuader qu'il avait lui-même intérêt à laisser faire [tracé : intérêt à ne pas se montrer défavorable. J’avais donc quelque espoir d’aboutir, lorsque]. Persigny sous l'empire du succès très réel de son discours était refroidi ; Fould très indifférent. Quant à moi j'avais grand désir d'aboutir enfin, et passablement d'espoir. Mais Rouher après en avoir conféré avec Sa Majesté, m'avertit au moment de son départ, que la question était ajournée pour être l'objet d'un examen plus approfondi.

Ne pouvant le voir je lui répondis aussitôt qu'une question examinée pendant cinq ans et qui ne parait pas assez approfondie, est par cela même résolue ; qu'ainsi j'abandonnais définitivement la partie, me réservant pour seule consolation de prouver dans une note courte à l'Empereur que je n'avais pas agi dans mes tentatives, en esprit léger et futile, mais en homme politique et prévoyant et en serviteur dévoué qui voit bien et peut-être d'un peu loin une question intéressant l'Empereur encore bien plus que nous.

Ferai-je cette note - j'en ai tous les éléments; mais dans cette lutte de cinq ans j'ai prouvé que j'étais dans mes convictions persévérant et ferme; Insister serait peut-être me donner trop l'air d'un esprit féroce et têtu. Je n'y tiens pas. Donc j'en resterai là probablement.

[Tracé : la thèse serait brûlante et deviendrait inévitablement personnelle. Il est bien clair que pour nous écarter on nous rend suspect. On nous accuse de vouloir des portefeuilles,  vouloir entrer au Conseil par ambition, il faudrait bien rechercher la ….]

Souvent je me suis demandé comment des hommes aussi habiles que ces Messieurs ne s’aperçoivent pas qu'en dénaturant les intentions des membres du Conseil Privé ils donnent ... de rechercher et d’appliquer au grand jour les mobiles qui les font agir quand ils les repoussent avec tant d’opiniâtreté et si l'intérêt de l'Empereur et du pays y entrait pour quelque chose.

Mille amitiés

 

Cette lettre fait sans doute suite à la lettre écrite par Walewski de la villa Irène le 14 Août.