Paris,  le 19 août 1867

 

Mon cher Comte,

Par ma lettre du 17 je vous ai fait connaître l'objet et l'état de la question.

1° L'objet : donner aux membres du Conseil privé, dépourvus d'autres fonctions, le titre de Ministres sans portefeuille, comme ils avaient autrefois celui de Ministre d'Etat ; avec la participation de droit au Conseil des Ministres, soit pendant la durée de la session, soit au moins une fois par semaine. Le mieux même serait de les rendre membres du Conseil des Ministres ; de les solidariser avec ce Conseil, d'en faire un Conseil unique, ayant comme le Conseil d'Etat des membres agissant, et des membres appelés seulement à délibérer. La seule objection c'est le nombre.

2° L'état de la question : suivant Monsieur Rouher nouvel ajournement ; suivant moi abandon de la question, et chute certaine du Conseil privé.

Pour ne vous laisser rien ignorer d'un sujet qui nous intéresse à un égal degré, je dois vous dire que depuis ma lettre (à vous) j'en ai reçu une de Rouher de Carlsbad et d'après laquelle ce dernier persiste à déclarer qu'il y a simple ajournement et non abandon. Il le croit sans doute ; mais après cinq ans d'ajournements successifs toujours motivés par les mêmes raisons, je serais un peu naïf de penser qu'il en sera cette fois autrement. J'ai pu d'ailleurs me convaincre qu'autour de l'Empereur, la résistance n'a pas faibli d'un iota et que toutes nos belles raisons n'ont pas fait un pouce de progrès. L'Empereur seul m'a paru les goûter, mais est-ce avec une conviction assez robuste pour briser les obstacles ?

Maintenant croyez-vous que s'il pouvait y avoir, contre ma conviction, une chance quelconque, ce serait par correspondance qu'il faudrait la tenter. Je ne le crois pas. Celui qui écrit, qui dit ses raisons en une fois, est bien sûr d'être battu par ceux qui ont la parole quand ils veulent.

D'ailleurs ce moyen est usé. La seule marche efficace, serait de demander à l'Empereur à son retour, de vouloir bien nous entendre conjointement avec les Ministres.  Ce serait le seul parti juste, puisque la question intéresse les deux Conseils. C'est d'ailleurs le seul qui n'ait pas encore été essayé. Dès lors il arriverait de deux choses l'une ; ou l'Empereur refuserait, et ce serait la preuve indubitable qu'il est décidé à ne rien faire, ou il y consentirait, et alors il y aurait chance favorable de réussir.

Dans tous les cas je vous serais bien obligé de me tenir au courant de ce que vous ferez.

Recevez, mon cher Comte, l'assurance de ma sincère amitié.

 P. Magne

Dites-moi si mes lettres vous parviennent directement.

Voici les obligations trentenaires rétablies.

Si l'homme n'est bon à rien,  ses idées ne semblent pas trop mauvaises.