Mon cher Comte,

Votre lettre du 5 ne m'arrive à Montaigne qu'aujourd'hui.

Vu l'incertitude où je suis si ma lettre vous trouvera encore à Amphion, je me borne à répondre en deux mots à vos deux questions.

Oui, si cela dépend de moi, je serai encore à Montaigne dans les premiers jours d'octobre. J'en aurais grand besoin, car j'ai quitté Paris très fatigué. Mais y viendrez-vous ? Je n'ose plus l'espérer. Nous aurions été pourtant très heureux d'y recevoir vous et les vôtres.

En ce qui concerne les tabacs italiens voici notre situation dont nous avons itérativement averti le gouvernement de Florence lorsqu'il se disposait à imposer la rente. Nous pouvons agir sur la chambre syndicale par voie d'interdiction, mais non par voie d'injonction. J'ai usé du premier moyen transitoirement dans l'intérêt du classement de notre emprunt. Ce classement est entravé par les bruits de guerre qu'on s'obstine à répandre malgré toutes nos déclarations.

Il m'a paru qu'il serait souverainement inopportun de jeter une nouvelle valeur en concurrence avec lui. J'ai donc, avant de quitter Paris, averti Monsieur Nigra que pendant quelques temps, surtout lorsque la liquidation de l'emprunt, la remise du certificat et le paiement du premier terme ne sont pas encore opérés, je m'opposerai de tout mon pouvoir à l'admission des obligations des tabacs. Il m'a paru parfaitement comprendre la légitimité de cette attitude. Nous sommes encore dans la même situation, rien de ce que je viens de dire n'étant terminé.

Lorsque tout inconvénient pour l'emprunt aura disparu, je laisserai, ainsi que je l’ai promis, la chambre syndicale parfaitement libre d'agir suivant son droit et sa volonté, car si, d'après les règlements, je puis l'empêcher, je ne puis pas la forcer d'admettre des valeurs, que pour une raison ou pour une autre, elle croirait devoir repousser. Le gouvernement a tout intérêt à ne pas modifier ces principes et à laisser à la chambre syndicale, vis à vis des gouvernements étrangers et du public français, la responsabilité qui lui appartient.

Monsieur Duruy a passé huit jours à Périgueux avec moi. Il m'a paru fort content du pays et des habitants. Il a produit un excellent effet sur tous ceux avec lesquels il a pu causer, laïques ou prêtres. L'évêque que j'ai fait dîner avec lui est le seul qui, je crois, a gardé une partie de ses préventions.

Mille amitiés

P. Magne

10 septembre 1868