Mont Dore (Puy de Dôme) Hôtel de Madame Chaborie aîné, le 16 Juillet

 

Mon cher collègue et ami,

Votre lettre du 26 juin m'est exactement parvenue à Michel Montaigne avant mon départ pour le Mont Dore.

C'est dans cette lettre que vous aviez la bonté de me promettre quelques détails sur les derniers événements. Vous répondiez à une lettre de moi dans laquelle je les appréciais comme un aveugle peut apprécier les couleurs puisque je ne savais et ne sais encore que fort peu de choses. Cependant Rouher m'a écrit que vous aviez cru pouvoir communiquer cette lettre à l'Empereur qui a du en rire. J'attends avec impatience votre réponse circonstanciée pour être en état d'avoir une opinion.

Il ma semblé qu'on fait bien du tapage du côté de l'instruction publique pour quelques changements de nom qui ne feront rien au fond des choses. On ne fera pas de meilleurs citoyens, ni des hommes plus complets parce qu'on appellera philosophie ce que Mr Rouland appelait logique.

Je vous parlais dans mes dernières lettres de la responsabilité ministérielle. Il me semble qu'on y arrive par un mauvais chemin. Que les temps sont changés depuis l'époque où tout était rapporté à l'Empereur, surtout le bien! Pendant mes douze années de ministère j'aurais cru manquer au plus essentiel de mes devoirs en faisant intervenir ma personne dans les mesures qui pouvaient avoir quelque faveur auprès de l'opinion. Depuis le fameux exemple donné il y a deux ans, les ministres s'attribuent de plus en plus, sans vergogne, tout le bien qui se fait, ce qui n'empêchera pas l'Empereur de continuer à être responsable de tout le mal vrai ou supposé qui pourra se faire.

Si on appelle cela rester fidèle au principe de la constitution, je n'y comprends plus rien. Je finirai par préférer la responsabilité véritable qui au moins mettrait à la charge des ministres le mal avec le bien.

Ce serait logique comme était logique la constitution impériale qui rapportait tout au souverain, les ministres étant purement et simplement les exécuteurs de sa volonté.

Mille amitiés !

P. Magne

Je resterai encore 8 jours au Mont-Dore